Journal de bord d’une quarantaine au Vietnam

“Je l’ai fait !!!” Chambre 420 de l’hôtel Ibis Saigon Airport, 2h30 du matin. Je viens d’arriver dans la chambre dans laquelle je vais m’isoler pour les 16 prochains jours et je m’empresse d’ouvrir mon ordinateur (vous comprendrez pourquoi plus bas) pour en informer mes proches. Quelle aventure unique !

Je viens de passer deux mois et demi en France, une parenthèse de bonheur à retrouver famille et amis, à profiter de l’été avant de voir arriver les jolies couleurs d’automne. Après deux mois de procédures administratives pour préparer mon dossier de retour au Vietnam, j’obtiens la dernière autorisation de la part de l’Aviation Civile la veille de mon départ. La valise est bouclée, mon dossier est bien ficelé dans mon sac-à-dos, je suis prête à entamer le périple.

Pendant ces deux semaines de quarantaine, j’ai tenu tant bien que mal un journal de bord pour garder un souvenir de cette expérience, noter mes humeurs du jour et les petites anecdotes qui me faisaient sourire. Je doute que ce partage soit d’une grande utilité et ceux qui suivent mes aventures sur Instagram connaissent déjà l’essentiel, mais c’est bien mon blog après tout et je publie ce qui me plaît !

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Jours 0 – 16 & 17 octobre – Arrivée à Saigon

Nous sommes le vendredi 16 octobre au petit matin, Maman me dépose à la gare de Nîmes centre à 5h30, ça pique ! 3h50 plus tard, j’arrive à Roissy-CDG. 6h à tuer avant mon vol. L’enregistrement se fait assez longuement, la représentante de Qatar Airways s’attache à vérifier mon dossier pièce par pièce et me demande de retirer 6kg de ma valise pour les ajouter « exceptionnellement » à mon bagage cabine (oups, les livres !). Je suis joliment équipée d’un masque et d’une visière que je dois garder tout au long du vol. L’avion est plein (1 siège sur 2).

J’atterris à Doha à 21h, et constate en panique que mon téléphone ne se rallume pas (il était chargé à bloc, et j’ai tout essayé). Rester digne et ne pas pleurer, je trouverai une solution plus tard. Pour l’instant, il faut que je me repose. Je trouve une salle de repos pour femmes et m’y installe pour la nuit.

Le deuxième vol Doha-Saigon se passe bien, il est tellement difficile d’obtenir les autorisations nécessaires à l’entrée au Vietnam que nous ne sommes qu’une petite vingtaine. Nous arrivons à l’heure prévue, 1h du matin. Premier contrôle à la sortie de l’avion de nos “medical forms”, avant de passer par l’immigration. J’attends un peu le temps de recevoir mon visa, puis je descends pour récupérer ma valise. Tout se passe finalement très vite et plutôt très bien, moi qui angoissais de tous ces papiers. Ma valise a été vaporisée d’antivirus, elle est encore humide. Une ligne se forme pour ceux qui se rendent à l’hôtel Ibis. Je suis escortée à l’extérieur de l’aéroport par mon chauffeur en tenue de cosmonaute. Je dois mettre ma valise de 30kg dans la soute avant de monter dans un bus de 45 sièges, trempé ! Tout a été vaporisé et ça pue, je m’assois d’une seule fesse à l’arrière du bus, le chauffeur rabat un rideau plastique derrière lui et démarre. Dix minutes plus tard (NB : ce transfert m’aura coûté la modique somme de 150 USD), nous voilà arrivés à l’hôtel Ibis. Rapide enregistrement et je prends l’ascenseur jusqu’au 4ème étage.

2h30 – j’arrive dans la chambre 420, c’est bien plus moderne et confortable que ce que j’imaginais. La première chose qui me fait sourire est cette citation d’Henry Ford qui trône au-dessus du lit : « Quand tout semble aller contre vous, rappelez-vous que l’avion décolle contre le vent, pas avec lui. » J’installe rapidement mes affaires, je prends une douche rapide et ne me fais pas prier pour aller au lit.

Jour 1 – Dimanche 18 octobre

9h – J’entends frapper à la porte, je me lève en sursaut, attrape un gilet pour me couvrir et ouvre la porte l’air encore complètement endormie. “Temperature check madam!” Le premier d’une longue série… on nous prend la température tous les matins, tout est conservé dans un dossier.

10h – On frappe de nouveau à ma porte. Cette fois-ci, c’est pour le test Covid. Il est fait à la chaîne, au milieu du couloir, entre les ascenseurs. C’est rigolo cette queue de gens masqués en pyjama et chaussons d’hôtel.

Mon mari et un ami sont arrivés en bas de l’hôtel. Que c’est bon de les voir !!! On échange des signes, puis je reçois le sac qu’ils m’apportent : du chocolat, des biscuits, mes aquarelles, du thé, mon tapis de yoga, un téléphone tout neuf et un album de photos de nous… ADORABLE. J’ai vraiment le meilleur mari du monde !

13h – Des bruits de pas sur le plastique, des portes qui claquent… pas de doute : le déjeuner est servi ! Je suis agréablement surprise pour ce premier repas : du loup frit accompagné d’une purée de pomme de terre et de courgettes vertes et jaunes sautées. Du bon pain brun et des fruits frais pour le dessert. Je commence à aimer cette quarantaine.

18h45 – Mon voisin de palier est francophone et téléphone à je ne sais qui depuis le couloir, en mode haut parleur… il sort demain, au cas où l’étage ne soit pas encore au courant ! Il a l’air rigolo cet homme.

19h – Bruissement de plastique, claquements de portes : le dîner est là ! De bonnes nouilles sautées aux légumes avec une sauce soja, un régal !

Jour 2 – Lundi 19 octobre

Réveil à 8h30, le ciel de Saigon est gris et lourd comme la veille.

Organisation des repas :

  • Nous avons un menu à la semaine dans nos chambres avec deux choix par repas, asiatique ou européen. Chaque après-midi, le restaurant nous appelle pour prendre notre commande pour le lendemain. Une option végétarienne est également disponible à chaque repas.
  • Les repas sont servis à 8h30, 13h et 19h. Ils sont préparés dans des boîtes en carton emballées dans un sac plastique avec le numéro de notre chambre inscrit dessus. Ces sacs plastiques sont déposés sur la chaise que nous avons chacun devant notre porte. Le personnel de l’hôtel frappe à toutes les portes pour indiquer la livraison des repas.
  • Dans la chambre, nous avons un set de couverts et une paire de baguettes que nous devons laver nous-mêmes et réutiliser. J’ai prévu un verre dans la salle de bain à cet effet. Nous avons aussi une bonbonne à eau de 19L et une bouilloire pour le thé/café.
  • Je suis sincèrement agréablement surprise de la qualité des repas, c’est varié, bon, servi chaud et les portions sont plus que généreuses ! J’ai toujours du mal à les terminer. Il y a même des muffins, croissants, pain/beurre pour le petit-déjeuner…!

Prochaine étape : comprendre le système des poubelles et du papier toilette (je viens bientôt être à court).

Je regarde la vie au dehors. C’est fou de penser que les gens n’ont aucune idée de ce qu’il se passe entre ces murs. Quelle insouciance heureuse ! J’imagine que je serai comme eux à ma sortie, libre et sans inquiétude. Vivement !

Jour 3 – Mardi 20 octobre

La journée commence par un petit café à la fenêtre, pas de petit-déjeuner aujourd’hui. Je me sens bien mieux que la veille, plus détendue ! Journée peu productive, je l’ai passée sur mon téléphone, plus précisément sur Instagram, à m’amuser à répondre aux différentes questions et à les mettre en avant avec des photos.

À la pause déjeuner, je suis attirée par des bruits dans la rue : il s’agit de tout un groupe qui salue un de mes confrères dans l’hôtel, je pense que toute son entreprise est venue, c’est adorable !

Jour 4 – Mercredi 21 octobre

Journée très peu productive aujourd’hui… je l’ai passée devant Netflix et Instagram… J’ai eu un peu mal à la tête, je pense que c’est surtout lié au fait de rester enfermée, j’ai du mal à bien aérer la pièce avec la toute petite fenêtre et je ne bois pas assez non plus.

On me demande souvent quelle est la situation au Vietnam. Il faut savoir que le pays a été l’un des tous premiers à fermer ses frontières (dès le 22 mars), que nous n’avons eu qu’un seul mois de confinement total et que les autorités ont pris le parti de ne faire que très peu de tests, pour au contraire isoler un maximum et de manière drastique dès qu’un nouveau cas de contamination est détecté. À ce jour, on recense 1140 personnes testées positives et 35 décès. Le Vietnam est d’ailleurs souvent cité comme un exemple dans sa gestion de la crise, au même titre que le Japon, la Corée du Sud et Taïwan.

Jour 5 – Jeudi 22 octobre

Levée tard (11h), ils sont venus contrôler la température à 8h… Encore une journée non productive, mis à part le time lapse du rond-point au coucher du soleil.

Jour 6 – Vendredi 23 octobre

Ce matin, j’ai bu mon café au lit en regardant le dernier débat Biden/Trump à la télé… Nous sommes à 11 jours des élections et c’est inquiétant.

C’est drôle comme une chambre d’hôtel est généralement associée aux vacances, au mouvement, au voyage, à la découverte, au dépaysement… bref, à tant de choses, mais pas à l’immobilisme et à l’isolement ! J’ai quand même beaucoup de chance d’être dans ces conditions, même si nous en payons le prix.

Je pensais avoir un autre test ce matin, mais personne n’est venu frapper à la porte, sauf pour le contrôle quotidien de la température.

Point positif de la journée : j’ai publié l’escapade à Malte ! Espérons que je garde le rythme, l’inspiration et la motivation pour continuer à publier les prochains jours.

Jour 7 – Samedi 24 octobre

Rien de vraiment nouveau sous le ciel gris de Saïgon… Toujours pas de test aujourd’hui, j’imagine qu’ils sont faits par le département de la santé et que ce sont des fonctionnaires qui ne travaillent pas le week-end. J’ai fait un appel vidéo en famille pour les 80 ans de ma grand-mère et mon mari est passé me voir !

Jour 8 – Dimanche 25 octobre

Douce pluie ce matin au réveil

Jour 9 – Lundi 26 octobre

Ce matin, j’ai appelé la réception pour en savoir plus sur le prochain test. Il sera fait la veille du départ, donc dimanche 1er et je pourrai quitter l’hôtel dès qu’on a les résultats, donc j’espère même dimanche soir !!! Je peux détendre ma narine pour quelques jours.

Jour 12 – Jeudi 29 octobre

Non, je n’ai pas écrit ces derniers jours. Il ne s’est à vrai dire rien passé de vraiment palpitant… les jours se ressemblent, se mélangent, s’éternisent. Pourtant, ça m’aurait fait du bien d’écrire, je crois. Cela fait quelques jours que je perds un peu la boule, la notion du temps, la motivation de tout. Quelques jours dans ma bulle, à rester en culotte (sauf besoin ultime, comme ouvrir ma porte pour le contrôle quotidien de température ou pour récupérer mes repas), à ne pas faire mon lit le matin puisque de toute façon j’y passe la plupart de mes journées (c’est quand même bien plus confortable que cette maudite chaise de bureau en plastique), à me laver un jour sur deux (en même temps pour l’activité physique que je fais…), à faire des siestes de deux heures dans l’après-midi pour ensuite ne m’endormir qu’à deux heures du matin devant un film ou une série, etc, etc. Clairement, je ne suis pas à mon top ! J’ai réussi à tenir le cap la première semaine, à garder un bon rythme, à manger correctement, à faire mes activités, et puis… la flemme, le “à quoi bon”, l’attente qui devient interminable. Alors je sais que d’autres sont dans une situation bien moins agréable, je tiens chaque jour à me le rappeler, à tenter de relativiser et de garder un esprit positif dans tout ça. Mais bizarrement, plus la date de sortie approche et plus le temps s’allonge.

Quelques petits accomplissements de ces derniers jours :

  • Beaucoup regardé Netflix et YouTube : coups de cœur pour les documentaires What happened, Miss Simone?, The Social Dilemma, et la série The Queen’s Gambit
  • Beaucoup échangé avec ma famille, mes amis et des confrères sur Instagram (coucou Célia si tu passes pas là !)
  • Mis en place une nouvelle bucket list des lieux à visiter au Vietnam en 2021 (qui fera sûrement l’objet d’un futur article) et des choses que j’aimerais faire/voir à Saigon
  • Inscription à un premier cours d’italien à l’école de langue dans mon quartier
  • Planifié un long week-end en amoureux sur une île isolée au Vietnam… un peu de rêve à venir qui m’a bien remonté le moral !
  • Fini 3 livres, je vous en reparlerai dans un prochain article
  • Pratiqué du yoga et fait un peu de méditation grâce à l’application Headspace dont je ne me lasse pas

Hier soir, en France, le reconfinement a été annoncé, et tout le monde est morose, un nouveau coup de massue. Même si je compatis et que toutes ces nouvelles m’angoissent, je me rends compte de la chance que j’ai, celle d’être rentrée au Vietnam au bon moment, d’avoir tout simplement pu rentrer, de n’avoir “que” deux semaines d’isolement pour ensuite pouvoir retrouver mon mari, mes amis, ma vie saigonnaise et en profiter pleinement puisqu’ici la vie a repris son cours normal depuis des mois.

Et puis, j’ai quand même reçu une bonne nouvelle ce matin en demandant la confirmation de l’hôtel sur le solde qu’il me restait à payer : je sortirais dimanche, et non lundi ! 1 jour de liberté en plus, hourrah ! Plus que 3 jours donc. Ça va aller.

Jour 13 – Vendredi 30 octobre

La nuit dernière, j’ai vu des bus arriver en bas de l’hôtel… cela me paraît déjà tellement loin ! J’imagine ce que ces nouveaux arrivants doivent penser. Sont-ils excités d’être au Vietnam ? Angoissés par l’isolement à venir ?

Aujourd’hui, je me suis intéressée aux posters de propagandes qu’on voit un peu partout au Vietnam depuis le début de la pandémie. Pour aider à sensibiliser les citoyens, le ministère de la Culture, du Sport et du Tourisme a lancé une campagne et a sélectionné 14 affiches sur 103 proposées par 23 artistes. Voilà mes préférées :

Journal de bord d’une quarantaine au VietnamJournal de bord d’une quarantaine au VietnamJournal de bord d’une quarantaine au Vietnam
  1. Un poster montrant les symptômes du Covid-19 et appelant à quiconque ayant ces symptômes à consulter le centre médical le plus proche.
  2. « Prévenir la pandémie du Covid-19, c’est se protéger soi-même, protéger sa famille et sa communauté.« 
  3. « Rester à la maison, c’est aimer son pays ! » – Hiep Le Duc
Journal de bord d’une quarantaine au VietnamJournal de bord d’une quarantaine au VietnamJournal de bord d’une quarantaine au Vietnam
  1. Un poster qui met en avant l’importance de porter des masques pour se protéger contre le virus – Luu Yen The, 73 ans
  2. Une illustration de Huynh Kim Lien remerciant les travailleurs dans la santé et les militaires au Vietnam
  3. Une mère d’ethnie Thai aide sa fille à mettre un masque tout en appelant la population à se laver les mains régulièrement – Tran Duy Truc, peintre vietnamien de 76 ans
Journal de bord d’une quarantaine au VietnamJournal de bord d’une quarantaine au VietnamJournal de bord d’une quarantaine au Vietnam
  1. « Nous restons ici pour vous, alors svp restez chez vous » – Le Dac Tuyet Thang
  2. « Quand la pandémie sera finie, vous pourrez faire tout ce que vous voulez » – Le Dac Tuyet Thang
  3. « Tous unis contre la Covid-19« 

Jour 14 – Samedi 31 octobre

9h – Dernier test Covid fait ! Cette fois-ci, au 6ème étage, dans une salle aménagée, prendre l’ascenseur est une aventure en soi ! Il me tarde tant de recevoir le résultat, je vais harceler la réception de l’hôtel dès cet après-midi pour avoir l’info le plus rapidement possible…

Jour 15 – Dimanche 1er novembre – La libération !

7h – Le réveil sonne, j’ai très mal dormi tellement j’étais excitée du lendemain ! Je bois mon café, termine ma valise et appelle la réception pour leur signaler mon départ. Un employé de l’hôtel vient contrôler ma chambre dans les moindres détails, poubelles y compris… puis m’aide avec mes bagages et m’accompagne à l’ascenseur. Mon mari m’attend dans la réception de l’hôtel, quel bonheur ! Je signe deux-trois papiers et je sors dans la chaleur de Saïgon. Retour à l’air libre, que c’est bon !

Nous arrivons à la maison, je dépose mes affaires et nous partons faire un tour du quartier en scooter. Déjeuner dans mon café favori, il fait un doux temps printanier. Petit apéro le soir sur notre rooftop face au coucher de soleil. Je savoure chaque moment de cette liberté retrouvée. La vie peut doucement reprendre son cours…

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Quelques jours après ma sortie… je m’en doutais, mais on oublie vite les moments difficiles. Cette quarantaine forcée m’a beaucoup fait réfléchir sur l’isolement, la solitude, la notion de libertéj’espère n’avoir jamais à revivre cette expérience, mais je suis néanmoins reconnaissante de l’avoir fait. La vie post-quarantaine n’en est que plus belle !