Scènes de vie ordinaire

Ce matin, FB m'a rappelé un incident qui a eu lieu il y a exactement deux ans. On était encore en Angleterre, je réceptionnais un colis et le livreur m'a fait remarquer que mon nom était bizarre et ça vient d'où? De France. Et là, il a répondu en riant: au moins, vous n'êtes pas polonaise. J'en étais tellement estomaquée que je n'ai pas su quoi répondre, j'ai juste claqué la porte sur sa gueule de xenophobe réjoui. J'étais un peu à bout aussi, je n'en pouvais plus de ce genre de réflexions. C'est en partie pour ça qu'on a déménagé (c'est un peu plus compliqué quand même, mais ça a joué) et qu'on est aujourd'hui en France. Où le racisme ordinaire se porte très bien aussi.

Scènes de vie ordinaire

Attention, cette fois, on n'est plus visé. Quand des gens remarquent l'accent anglais persistant de GeekAdo ou de MangaGirl, c'est pour trouver ça charmant. Il y a une jurisprudence Jane Birkin ou Charlotte Rampling, l'accent anglais est toléré, voire admiré. Non ici, c'est même l'inverse, les racistes ordinaires ont l'air de penser qu'on est pote, et ça me défrise beaucoup. Je renvois quelle image exactement pour que cette sombre conne dans le bus hier se permette de vouloir blaguer avec moi? Scène de la vie ordinaire dans le Pas de Calais cette fois, plus dans un village au fond de l'Essex: un pauvre garçon, à peine la vingtaine, visiblement étudiant, a oublié son ordinateur portable dans le bus du matin et il parcourt la ligne depuis pour essayer de le retrouver. La chauffeure, compatissante et très gentille, s'arrête. Elle téléphone au dépôt, elle cherche le chauffeur qui a pu éventuellement récupérer le portable, elle appelle tous ses collègues. Ça prend quelques minutes. Exceptionnellement , le bus était à l'heure, on ne va pas chipoter pour un instant: ce pauvre garçon est dans tous ses états, il y a tous ses cours, ses photos, tout, sur cet ordinateur. La chauffeure insiste au téléphone, elle touche au but, elle a le nom du chauffeur de ce matin. Le portable a été laissé dans un dépôt de la compagnie, il ne reste plus qu'à savoir lequel.

Les autres voyageurs, dont moi suivent la scène. J'imagine tout à fait L'Ado à la place du distrait et je me dis que je serais bien contente qu'on l'aide comme ça dans les mêmes circonstances. Le pauvre garçon se confond en remerciements devant autant de gentillesse. Il s'excuse aussi de mettre tout le monde retard. Et c'est là qu'une espèce de furie en face de moi s'emballe. Elle avait déjà ricané bruyamment plusieurs fois, avec des grâces de hyène enragée, mais là, elle me prend à témoin, en hurlant bien fort avec un air sadique, c'est quoi ce sale ****, et d'abord comment il a les moyens d'avoir un ordinateur portable et il se croit où, à mettre tout le monde en retard, ce***, on est pas chez les *** (je refuse d'employer ce genre de vocabulaire, même pour citer quelqu'un). Parce que effectivement, le pauvre étudiant a un teint légèrement bronzé et un petit accent. Cette conne braille, éructe, crache sa haine. La chauffeure relève la tête de son téléphone, bouche bée, et le pauvre étudiant essaie de se faire tout petit, sans rien dire, au bord des larmes. La harpie me regarde, triomphante...Alors je me suis levée, j'ai demandé à l'étudiant, en espagnol donc puisqu'il était latino, vénézuélien même (et pas maghrébin comme le croyait l'autre conne, mais ça ne change rien au débat), si ça allait, et j'ai aidé la chauffeure à lui expliquer comment aller au dépôt pour récupérer son portable. On est reparti. La chauffeure a fait assoir l'étudiant devant, près d'elle, en surveillant l'immonde sorcière raciste dans son miroir. Je me suis rassise, elle m'a regardée, prête à mordre. Je lui ai souri très gentiment et j'ai imité l'accent de MangaGirl : Vous avez un problème?

Ce n'est rien, juste un petit incident qui a à peine duré quelques minutes. Mais pourquoi un tel déchaînement de méchanceté gratuite? Pour quelle raison cette femme, qui a dit poliment bonjour en montant dans le bus devient une furie grossière dès qu'elle entend un accent étranger? Que ce passe-t-il dans son cerveau atrophié, quel levier s'enclenche pour qu'elle perde tout savoir vivre? D'où vient cette haine incontrôlable? Et pourquoi pense-t-elle que je suis de son côté? Pourquoi personne ne dit rien? Je n'ai pas le mal des transports, mais là, dans ce bus, j'ai eu des nausées.

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