House with potential


Pour me donner du courage au milieu des travaux qui ne sont toujours pas terminés et qui ne concernent qu’une toute petite partie de la rénovation de la maison du petit requin (pas beaucoup de gros œuvre mais toutes les pièces sont à refaire), je me suis replongée dans les photos de notre premier logement en Angleterre. On y est resté en location quelques mois. Quand on avait visité (en été, précision importante), on était tombé en extase à peine le portail franchi, naïvement. Il y avait les portes d’origine, les hauts plafonds, la sonnette dans la salle à manger qui tintait encore dans la cuisine, le passe-plat, un coffre fort caché dans une cheminée et même un passage secret entre deux chambres. Le loyer ridiculement bas pour une maison aussi grande ne nous a pas alerté, on ne connaissait pas les prix pratiqués dans le coin. On va vivre dans un décor de Jane Austen, c’est génial. Ahaha, on a vite déchanté.

House with potential

Le problème d’une maison avec du potentiel comme ça (selon les mots de l’agent immobilier), c’est bien qu’elle peut être extraordinaire, mais que justement, elle ne l’est pas. Derrière les grandes fenêtres géorgiennes (simple vitrage et fissures béantes), on se gelait. Le parquet était sublime…enfin, il l’avait été, presque deux siècles avant. Celui de la cuisine notamment souffrait de se retrouver sous 10 centimètres d’eau à peu près un jour sur deux. Au début ça nous a surpris, on ne savait jamais quand il fallait sortir les masques et le tuba pour se risquer dans la cuisine mais on a vite pris le rythme. Tout ça parce que la cave était perpétuellement inondée à cause du lac artificiel dans le parc. Visiblement, l’eau remontait par capillarité toutes les 48 heures, un peu comme la marée. Donc, le parquet était légèrement moisi, je ne parle même pas des fondations englouties sous l’eau…en même temps, c’était assorti la passoire qui servait de toit. Les tuiles tombaient en poussière dès qu’on les touchait. La charpente aussi. L’entrepreneur mandaté par l’agence a failli y laisser une jambe et a pris peur, il a récupéré sa jambe vadrouilleuse puis l’autre et les a prises à son cou. On avait des cascades à faire pâlir de jalousie les chutes du Niagara dans le salon et notre chambre, mais il pleuvait globalement dans chaque pièce.

House with potential

Les magnifiques cheminées géorgiennes ne réchauffaient pas l’atmosphère, au contraire. C’est fou le bruit assourdissant que fait un conduit de cheminée qui s’écroule brutalement sur lui-même dans une chambre d’enfant, et je ne parle pas de la poussière et de la suie… c’est bien simple, c’était tellement bruyant et inattendu que ça a fait taire les grenouilles. Parce qu’un troupeau de grenouilles avait élu domicile permanent dans le marécage de la cave. La première fois que j’ai entendu leurs vocalises, j’ai eu la trouille de ma vie: au secours, le plancher croasse! C’était très animalier d’ailleurs, il y avait des lapins partout dans le parc, un héron sur le lac et une biche qui traversait la pelouse. Et une bande de hiboux ou de chouettes (je ne leur ai pas demandé) qui faisait des claquettes toutes les nuits dans le grenier à ciel ouvert (à cause des trous dans la toiture). La première nuit, ça surprend: au secours, le plafond applaudit. Je passe sur le chauffage inexistant, la plomberie d’époque, et les saignées béantes dans les murs pour faire passer les câbles électriques modernes et obligatoires pour pouvoir louer ce taudis grandiose.

House with potential

Il aurait fallu dépenser des sommes folles pour remettre tout ça en état. On était ravi d’en partir, on n’a jamais eu aussi froid que là dedans. Et pourtant…on aurait aimé l’acheter, la rénover, en prendre soi de cette pauvre ruine. On était furieux après les propriétaires, non pas parce qu’ils nous ont bien arnaqués (enfin si, aussi pour ça…) mais parce que ces gougnafiers laissaient cette malheureuse maison à l’abandon (surtout que justement, eux disposaient des sommes folles nécessaires). Quand on est parti, ces sombres cretins parlaient de faire tomber la véranda victorienne vermoulue mais magnifique pour la remplacer par une horreur en pvc trois fois plus large. Juste de quoi défigurer définitivement la maison…vraiment, on a eu l’impression d’abandonner cette pauvre maison à des tortionnaires immobiliers. Je crois que c’est en pensant un peu à elle qu’on a craqué pour la maison du petit requin. Elle aussi avait besoin d’être aimée et rénovée…mais on a appris grâce à notre première maison en Angleterre qu’il y a des limites, et pas que financières à ce qu’on pouvait entreprendre. On a rejeté plusieurs maisons qui demandaient vraiment trop avant de tomber sur celle du petit requin. Ça reste à notre portée. On y arrivera. Peut être.