British passport dilemma

Je réagis à chaud à une conversation que j'ai en ce moment même avec une amie profondément anglophile mais qui vit en France, sur FB. J'ai posté un message parlant d'un monsieur de 95 ans, survivant de la Shoah et arrivé à 13 ans comme réfugié en Angleterre, qui doit aujourd'hui demander le settle status, avec toutes les réminiscences d'un autre fichage que cela peut provoquer chez lui. Cette amie me demande pourquoi, après plus de 80 ans en Angleterre, ce monsieur n'est pas devenu anglais. Je me rends compte que vu de France, la situation des européens en UK et cette histoire de naturalisation ne sont pas faciles à comprendre, même pour quelqu'un familier de la Grande Bretagne. Ce n'est pas si simple sur place, pour des raisons autant émotionnelles que pratiques.

British passport dilemma

Je ne suis pas avocate spécialisée, je n'ai aucune qualification en droit, mais malheureusement, le brexit a fait que j'ai dû m'intéresser aux droits des étrangers en UK de très près. Trop près même, parce que ce n'est pas beau à voir. On va parler uniquement des européens, c'est encore autre chose pour les autres. Les européens arrivés en UK avant 1973 et l'entrée du Royaume Uni dans l'Union ont reçu un ILR, soit un permis de séjour illimité. Ils sont donc installés tout à fait légalement, depuis plus de 40 ans. Beaucoup ont pu demander la naturalisation, après 3 ans, ou 5 ans, mais tous ne l'ont pas fait. Parce qu'ils n'en voyaient pas l'utilité, parce qu'ils pensaient peut-être repartir un jour, par manque de temps ou parce que leur pays d'origine ne leur permettait pas. Quand on vit à l'étranger, on a besoin de savoir qu'on peut retourner à tout moment dans son pays d'origine pour voir sa famille en cas de problème. Si on n'en a plus le passeport parce qu'on a dû l'abandonner pour prendre la nationalité de son pays d'accueil, on se retrouve à devoir demander un visa pour retourner dans son pays de naissance! Lorsque le Royaume-Uni est entré dans l'Union, les autorités ont dit à tous ces gens qu'ils n'avaient plus besoin de rien. On n'a pas renouvelé le tampon justifiant leur statut dans leur nouveau passeport par exemple, pas de problème vous êtes des européens en Europe maintenant! Sauf qu'on leur demande aujourd'hui de justifier de ce statut alors qu'ils n'ont plus de preuve (C'est arrivé à la Windrush Génération, ces britanniques originaires des Caraïbes qui ont été deportés vers des pays qu'ils ne connaissaient même pas).

Pour les européens arrivés après 1973, c'était beaucoup plus simple. Il n'y avait rien à faire, aucune démarche. Notre droit d'être là, c'était notre passeport européen. C'est facile, mais c'est aussi contraire aux directives européennes: passé un délai de 3 mois, un ressortissant européen doit justifier de son indépendance financière (salaires, pensions, retraites...) pour avoir le droit de s'installer dans un autre pays de l'Union. Le Royaume-Uni n'a jamais appliqué cette directive, et aujourd'hui, les brexiters justifient leur politique anti-européens par leur propre incapacité à appliquer la législation européenne, c'est un comble! Cela dit, on pouvait encore facilement demander la nationalité britannique. Il y a plusieurs années, j'ai failli le faire. Mais ça coutait £750 et je trouvais qu'on avait autre chose à faire avec cet argent. Surtout que ça ne servait strictement à rien. En tant qu'européen, on avait exactement les mêmes droits et devoirs que les britanniques, sauf la possibilité de voter aux élections législatives. C'est tout (on votait aux élections locales et européennes). On était légalement, socialement et culturellement considéré comme les britanniques....pourquoi se noyer sous des tonnes de formulaires, passer des tests et débourser des sommes folles, alors que ça ne nous servait à rien?

Et puis est arrivé l'hostile environment de Theresa May. Tout à coup, pour demander la nationalité britannique, dont le coût a augmenté, il a fallu passer par un nouveau document: le PR. J'ai déjà expliqué maintes fois l'imbécilité et la lourdeur des démarches pour avoir ce précis sésame. Beaucoup d'européens ont été refusés. On nous demandait rétroactivement tout un tas de justificatifs qui n'existaient pas. Comme beaucoup, je me suis retrouvée dans la situation ubuesque de remplir les conditions de la naturalisation, mais pas celles du PR devenu un préalable indispensable. Aujourd'hui, il faut passer par la case settle status, qui je le rappelle est une demande pas un enregistrement: le home office peut le refuser sans justification et sans qu'on puisse faire appel. Avoir un/e conjoint/e britannique ne change rien. Être marié/e à un/e britannique n'empêche aucunement d'être deporté/e. On doit ensuite passer un test de langue et un test de culture générale British auquel même les locaux n'arrivent à répondre. Tout ça est payant bien sûr. Il faut aussi payer pour la cérémonie où l'on doit prêter serment à la reine, c'est obligatoire. En tout, si on rajoute les frais de courriers (parce que plusieurs kilos en recommandé, ce n'est pas gratuit), les frais de traductions, les frais de transport (il n'y a pas de centre partout), on arrive à presque £2000 par personne, imaginez pour une famille! Alors oui, beaucoup n'ont pas demandé la naturalisation...par peur aussi de se voir refusé, pour ne pas renoncer à leur passeport d'origine pour ceux issus de pays qui ne reconnaissent pas la double nationalité, pour pouvoir continuer à voyager en Europe, par sentimentalité, peu importe. Parce que avoir un passeport britannique ne gomme ni l'accent étranger ni le lieu de naissance et qu'en Brexitland, ça n'empêche pas de se sentir considéré comme un citoyen de seconde zone, ça n'arrête pas les insultes xénophobes.

Je comprend que cela interroge, vu de France, mais non, ce n'est pas simple. La charge émotionnelle est peut être un frein encore pire que le prix et les tracas administratifs. Pour beaucoup d'européens en UK aujourd'hui, qui se croyaient chez eux et parfaitement intégrés, devoir demander la naturalisation non par choix, mais par peur, sous la contrainte, c'est une démarche extrêmement difficile à vivre. Quand c'est possible. Ça ne l'était pas pour moi, je suis partie. Comme plus de 150 000 européens qui se sont sentis rejetés par un pays qu'ils aimaient profondément même si ils n'en avaient pas le passeport.