un bref retour en Brexitland


La semaine dernière, Marichéri passait 4 jours à Londres pour le boulot (il y va toutes les semaines, pour 2, 3 ou 4 jours) et je l’ai accompagné. Pour la première fois depuis fin janvier, quand on a déménagé, je suis revenue en Brexitland. Ça fait plusieurs jours que j’essaie de faire le tri entre les émotions contradictoires provoquées par ce bref retour. C’était très curieux d’être une touriste dans un pays qui était encore mon « chez moi pour toujours » il y a quelque mois. Mais, si j’en avais encore besoin, les dernières news (merci encore pour vos partages hier, le gouvernement a démenti la mesure. Mais ce n’est pas clair du tout, dans le même paragraphe, ils disent que rien ne changera, qu’il n’y aura pas de nouvelles règles et que les nouvelles règles seront connues plus tard, c’est sûr que ça rassure…), je disais les dernières news ont fini de me convaincre qu’on a pris la bonne decision en quittant brexitland.

un bref retour en Brexitland

J’étais à la fois absolument ravie de passer du temps avec Maricheri sans les enfants, de revoir des amis et de profiter de Londres, et très stressée à l’idée de remettre les pieds en Angleterre. On ne peut pas dire que nos derniers mois de vie là-bas étaient particulièrement guillerets, j’ai eu peur de retomber automatiquement dans les angoisses qui me bouffaient avant qu’on parte. Mais à part deux ou trois fois (Comme quand je suis allée machinalement voir quand partait le prochain train pour Colchester en sortant du métro à Liverpool Street Station…ça m’a pris quelques secondes pour réaliser, et je ne sais pas si j’étais soulagée ou en colère. Un peu des deux en fait. Ce n’est plus mon train), j’ai bien senti que je n’étais que de passage. Ce qui est bizarre aussi d’ailleurs. Très bizarre. J’ai parlé anglais automatiquement, sans m’en rendre compte, ouf, mais mon accent français est bien ressorti. J’ai retrouvé mon petit circuit habituel, vers Hamley’s ( the magasin de jouets de Londres). J’ai pesté contre les touristes qui encombrent les trottoirs et j’ai aidé des allemands paumés dans le métro. Mais j’ai aussi pris des photos, acheté des souvenirs, visité les marchés bourrés presque exclusivement de touristes. De touristes comme moi. Je me suis baladé le nez au vent avec Maricheri, on n’a pas couru pour attraper notre train, on a mangé au restau sans se presser…

On a quand même été à Colchester, et j’ai demandé à Maricheri de ne pas passer dans notre ancien village, devant notre ancienne maison. Je ne pouvais pas. On avait promis aux enfants de ramener des tas de choses, il a donc fallu aller dans nos magasins habituels. Ça a été un mélange de familiarité confortable et de gêne, l’impression de se glisser naturellement dans nos petites habitudes et celle d’être en décalage complet. On est même allé faire des provisions dans notre ancien supermarché. Dit comme ça, ça n’a l’air de rien, mais je n’arrivais plus à y mettre les pieds avant qu’on parte. La simple idée d’aller faire mes courses, de devoir croiser des gens me plongeait dans des crises d’angoisses glaçantes. Je n’arrivais plus à sortir sans avoir peur, sans me torturer le cerveau à me demander pour chaque personne que je croisais si elle faisait partie de ceux qui veulent nous foutre dehors, nous considèrent comme des sous-citoyens, des vermines, de ceux qui agressent les européens. C’est épuisant. Et bien là, rien. Ça m’a fait tout bizarre. Plus d’angoisse, plus ce poids qui me tétanisait. J’étais tellement agréablement surprise que j’ai failli dire bonjour à tous les passants: youpidoo, vous ne me faites plus peur! Je m’en fiche, je ne suis que de passage, vous pouvez penser ce que vous voulez des européens, on n’habite plus ici, vous ne pouvez plus influencer sur notre vie. C’est pratiquement jubilatoire. J’ai même eu pitié. Regarde Marichéri, ces pauvres gens qui sont obligés de faire des stocks de nourriture et de médicaments en cas de no deal, si c’est pas malheureux…sauf que mes amis aussi font des stocks, sauf qu’eux sont coincés en Brexitland, et j’ai beau être infiniment soulagée d’y échapper, je suis toujours, voire même plus en colère après l’imbécilité sans nom, le nationalisme puant et la xénophobie triomphante qui plongent un pays que j’aimais tant dans la folie du brexit.

Chaque jour qui passe amène une nouvelle désolante ou terrifiante, même en étant en France. On n’a toujours aucune garantie pour la suite des études de L’Ado. Le boulot de Marichéri est toujours à Londres. On s’inquiète beaucoup pour nos amis. Mais si ce bref retour a été parfois contradictoire émotionnellement, il m’a confirmé dans mon soulagement d’être parti. Personne ne pourra dire à nos enfants qu’ils n’ont pas le droit d’être là, on ne pourra pas restreindre leur avenir parce que leurs parents ou eux mêmes ne sont pas nés au bon endroit, et ça, ça n’a pas de prix.