Brexit et retour en France


Je l’ai brièvement évoqué, mercredi dernier, avec deux filles extraordinaires qui défendent avec passion et compétence, les droits des européens en Grande Bretagne, j’ai été invitée à témoigner au sénat, devant la commission brexit. J’espère que ça a un peu ouvert les yeux à tous ces sénateurs qui n’avaient pas compris que derrière les enjeux économiques, il y a de vrais gens. Ils sont tombés des nues quand on leur a expliqué la situation des français en Grande-Bretagne, alors qu’ils planchent sur le brexit depuis des mois. Mais à lire le trancript édulcoré de la séance, je ne suis pas sûre que le message soit vraiment passé, en tout cas auprès de tous …

Brexit et retour en France

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Non, le brexit, ce n’est pas que des problèmes d’imports exports automobiles. Les français, comme les autres européens vivent dans l’incertitude, l’angoisse et font face à un climat de xénophobie savamment entretenu par le gouvernement britannique, quoiqu’il en dise à Bruxelles. Non, on n’a jamais dit que tous les anglais étaient racistes. Mais on a toutes à raconter des incidents xenophobes dont nous et nos proches avons été victimes. Je comprends que c’est difficile à entendre, que c’est bien loin de l’image de tolérance et de multiculturalisme que vous avez de la Grande-Bretagne, que cela vous paraît inimaginable qu’un gouvernement britannique mette en place une discrimination d’état. Nous aussi, même en le vivant, on a du mal à y croire. Nous qui aimions tant la Grande-Bretagne qu’on avait choisi d’y construire nos vies, on est sous le choc, depuis juin 2016, on se sent perdu, trahi, abandonné. Oui, à deux heures de Paris, on traite les français de vermine, juste parce qu’ils sont français. On les agresse dans les transports, parce qu’ils parlent français. On les insulte, on leur dit de rentrer chez eux, on remet en cause leurs droits, parce qu’ils sont français.

Non, notre sort n’est pas réglé, loin de là, malgré les déclarations d’intention de Theresa May. Si rien n’est fait, en mars 2019, les français du Royaume-Uni (et tous les européens) tomberont dans un vide juridique et seront à la merci d’une politique anti immigration dont le seul but est de chasser le plus d’étrangers possible, même ceux qui sont dans leur bon droit, et de discuter après. A cause du hostile environment mis en place par Theresa May elle-même, nous ne pourrons plus avoir accès au logement, à l’emploi, aux soins. Malgré les beaux discours et les vagues promesses bruxelloises, la machine administrative implacable qu’elle a créée nous broiera. De facto, en mars 2019, si négociations n’aboutissent pas très vite, les européens en Grande-Bretagne n’auront plus de statut. Et si par hasard une solution est trouvée pour certains, on ne sait absolument pas à quoi elle donnera droit ni pour combien de temps. Les estimations varient: c’est entre 30 et 90 % (oui, moi aussi, j’ai eu du mal à y croire en entendant le chiffre) des européens qui seront contraints de quitter la Grande-Bretagne, par décision administrative (pour ne pas dire déportés) ou pour fuir des conditions de vie que le gouvernement aura volontairement rendu intenables. C’est tellement plus propre et économique de faire en sorte que les étrangers partent d’eux-même plutôt de d’affréter des bateaux pour les foutre dehors!

Alors on nous dit que c’est à nous de nous préparer, que ça ne concerne pas l’état français. Mais on n’a pas le temps de se préparer. Plus on est parti depuis longtemps, plus il est difficile de préparer son retour. Un expat qui part pour une durée donnée, même longue, peut organiser son retour, alors que pour beaucoup d’entre nous, ce retour n’était pas prévu. Dans mon cas, je suis partie à la fin de mes études, je ne connais rien à la vie d’adulte en France, sans compter que l’administration française n’aide pas. Vous êtes prêts à accueillir des dizaines voire des centaines de milliers de personnes en un laps de temps très court? Non. Vous savez ce qu’il adviendra des conjoints britanniques qui perdront leur statut de ressortissants européens? Non. Vous avez décidé de ce que deviendront nos cotisations? Non. Vous savez comment vous allez loger ces dizaines et dizaines de milliers de familles qui se trouveront dehors, parce qu’on leur demande des avis d’imposition français même quand elles proposent de payer deux ans de loyer en avance? Non. Comment on pourra se faire soigner, malgré le délai de carence même si on en a les moyens? Non. Comment les administrations vont faire face à cet afflux de personnes qui ne rentrent pas dans les cases? Non. Alors, on fait comment pour se préparer?

Il y a officiellement entre 300 et 400 milles français en Grande-Bretagne, mais tous ne sont pas inscrits dans les consulats, et cela ne prend pas en compte les conjoints et enfants britanniques. Ça fait beaucoup de monde qui risque de débarquer en même temps, et pas par choix, à Calais. Ça ne concerne vraiment pas l’état français? Cet état qui nous doit la protection consulaire? Vous pensez qu’on exagère? Que le brexit, ce n’est pas si grave? Le gouvernement britannique lui-même a prévu que si il n’y a pas d’accord, la nourriture et les médicaments commenceront à manquer en 15 jours (je mets un lien ici, je sais qu’on ne me croira pas sinon). On ne vous demande pas un traitement de faveur, juste qu’on se souvienne de notre existence pendant qu’on négocie les nouvelles règles d’imports exports automobiles.