De Poindimié aux falaises de Lindéralique

Le soleil se lève à peine sur le Gîte Newejie. Les oiseaux chantent et la lumière du matin berce la petite cour de mon bungalow. C'est drôle, j'ai l'impression d'avoir toujours habité ici, et qu'au fil des années, le lieu a fini par me ressembler.

Après quelques heures de farniente, je me décide enfin à rejoindre François, mon hôte pour le petit-déjeuner. Sur la table, quelques fleurs coupées et du Nesquik.

François, qui habite la ville depuis 25 ans, me raconte l'histoire de ce qui est devenu sa terre. Il a tout de suite eu un coup de cœur pour la Nouvelle-Calédonie. Au départ, ce qui lui manquait le plus ? Le Nutella, sans hésiter. C'était même devenu une monnaie d'échange sur l'île, le monopole étant détenu par un producteur local de pâtes à tartiner. On en cachait dans ses valises quand on rentrait de l'étranger, espérant échanger les précieux pots contre des services.

Il me raconte sa vision des événements de Nouméa, du mouvement de reconnaissance de l'identité kanak mené par le charismatique Tjibaou. " Forcément, ça a mal tourné. On avait pris leurs terres et ils voulaient la récupérer. Tu verras, sur la route pour Henghiène. Il y a un minivan criblé de balles. C'est un vestige de cette époque là ".

Si les tensions se sont largement apaisées sur l'île, François, qui bien que métro a intégré la vie de la tribu, n'a pas tout à fait pardonné à Nouméa.

Je le laisse, ravie d'avoir partagé un moment avec l'autre visage de Nouvelle-Calédonie.

De la route, un chemin serpente vers la forêt du Koyaboa. Je m'invite en bord de creek, espérant croiser quelques crevettes. Rien. J'en serais quitte avec cette belle araignée.

Plus loin, quelques arbres ont été mis à nus. A l'écorce, fine et douce comme une peau, je reconnais le niaouli utilisé par Ernest pour isoler sa case. Partout autour flotte son odeur si particulière, entre l'eucalyptus et le camphre.

Je retrouve ces palmiers si étranges que je n'ai vu qu'en Tasmanie et qui me rappelle le passé de la Nouvelle-Calédonie. Nous ne sommes pas sur un volcan mais sur un tout petit bout de Gondwana, l'île continent qui formait il y quelques millions d'années l'Australie, la Tasmanie et la Nouvelle-Calédonie.

Trente minutes plus tard, je quitte le sous-bois un petit sentier à flanc de montagne. J'entrevois la côte et Poindimié du sommet du Koyaboa.

Le ciel se couvre mais je ne résiste pas à prendre la voiture pour Hienghène et les falaises de Lindéralique, ces roches résidues de la croûte océanique qui pointent vers le ciel. Je prends quelques clichés avant que la pluie ne s'invite et je repars déjà vers Nouméa.

Sur la route, je m'amuse des sujets de NC1, la principale radio de Nouvelle-Calédonie. On appelle pour des fruits que l'on a acheté à la foire de Bourail, d'un grossier personnage qui a grillé un feu rouge ce matin à Koumac, des différences entre dialectes d'Ouvéa et de Lifou.

Je suis loin d'avoir fait le tour de la Grande Terre. Comme beaucoup, je pense, je m'attendais à trouver une île du Pacifique, entourée du lagon, avec des fruits et des filles qui vous sourient comme sur les tableaux de Gauguin. Mais ses richesses sont ailleurs, bien cachées, au coeur des montagnes et des tribus. On ne les découvre qu'à tâtons, à force de patience et de rencontre. Et c'est sûrement mieux comme ça.