Café du matin #3

Café du matin

#3

Café torride

Quarante-cinq degrés à l’ombre de ton corps frissonnant. J’ai les doigts rouges et gonflés sur mon clavier, gourds d’être resté trop longtemps dehors par quelques degrés en-dessous de zéro, resté trop longtemps à lire et à te chercher alors que tu n’étais pas là. Les pieds humides et froids, l’âme déchirée comme la glace qui fond et s’écrase sur le sol gelé, avec le même bruit, la même lourdeur.

Ton regard fuit, de chaque côté, et je me dis que tu cherches quelqu’un, quelque chose, qui visiblement n’est pas là, ou t’échappe. J’essaie de voir mais je ne trouve rien. Il n’y a que ton visage dans l’ombre, les yeux froncés à cause du soleil écrasant et derrière toi, la porte qui surplombe les marches sur lesquelles tu t’es assise dans cette rue qui continue à vivre autour de toi. J’entends un chien qui aboie, devine la silhouette d’un homme qui passe sans même te regarder, imagine une scène que je ne peux qu’esquisser mais qui se délite à chaque fois qu’une légère inflexion de la réalité vient bousculer l’ordre des choses que j’avais construit. La réalité donne souvent tort aux mensonges que l’on élabore, c’en est même l’essence, l’imagination se fracasse sur des murs bien réels, mais si on n’a plus pour soi les mensonges que représentent les rêves, alors autant tout arrêter maintenant et se laisser aller à se plonger dans une trivialité mordante, létale.

Il est 24h57. L’angélus électrique sonne toujours à cette heure-ci, et le silence se fait. Tout autour, dans la rue, dans l’esprit. En toi, en moi. Il y a juste besoin d’attendre que ça se termine. Non, ce n’est pas une parenthèse absurde et contraignante, juste un petit moment pendant lequel on s’astreint à ne rien dire. Je souris. Et j’attends.

J’attends.

Je t’attends.

Tu es belle avec ton chemisier jaune qui flotte dans l’air brûlant, petite abeille arpentant les rues poussiéreuses.

Je regarde ton visage qui se terre dans l’ombre de cette rue ensoleillée, tes longs doigts aux ongles peints en noir posés sur ton front pour éviter la luminosité trop forte, accentuée par le mur blanc de l’autre côté de la rue. Tes yeux se froncent encore plus, tu as du mal à les garder ouverts.

Quarante-cinq degrés à l’ombre de ton corps frissonnant. Et moi je continue d’avoir froid. Mes doigts sont morts, mon esprit est en feu…

Photo de Mohammad Usaid Abbasi sur Unsplash

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