Nous irons voir comment c’était avant

Nous irons voir comment c’était avant…

Et on sera peut-être heureux…

J’ai toujours vécu en France, un peu voyagé mais pas tant que ça, quelques sauts de puce sur le globe qui m’ont permis de voir autre chose que mon pays, de sentir d’autres parfums, de m’imaginer que l’autre qui vit au bout de la terre n’est pas si différent que celui qui vit juste à côté de nous. Cet étranger est même parfois moins différent de soi que celui qui, précisément, nous semble le plus familier.

C’est souvent ce qui fait peur. Se rendre compte que l’étranger n’est pas dangereux est une blessure narcissique profonde, mais encore faut-il le connaître, et se donner les moyens de le connaître. Cette blessure narcissique nous offusque et nous plonge dans le trouble.

Cet étranger, c’est cette petite fille javanaise qui ne parle pas anglais et qui arrive à me faire chanter avec elle une chanson en bahasa. Elle porte l’uniforme violet des écolières, la tête voilée et ses yeux sont rieurs. De toutes ces copines c’est la moins farouche, elle virevolte tel un pinson pour apostropher les touristes avec son sourire enjoleur.

Cet étranger, c’est cet homme assis au pied d’un temple de Chiang Mai et qui me demande simplement d’où je viens et ce que je vais faire. Et qui me raconte sa vie tout en restant assis. Son frère habite ici et lui à Bangkok ; ils ne se voient pas souvent. Il aime bien Chiang Mai.

Cet étranger, c’est cet homme qui me prend le bras près de la Yeni Camii, pour regarder l’heure à ma montre et qui me fait un signe du pouce pour me remercier.

C’est encore mille visages, mille sourires persistant dans ma mémoire, des moments incroyables, que je ne pensais pas pouvoir vivre. Et pendant ce temps, je suis en procès avec mes voisins parce qu’ils n’ont qu’une vague notion de ce qu’est le droit de propriété.

Ce qui doit nous faire peur, ce n’est pas l’étranger qui est en face et qui pourrait avoir les mêmes droits que nous. Non, c’est l’étranger qui est en nous et qui, pour le coup, lui, est un véritable inconnu, et dangereux de surcroît…

Demain, nous votons, et lorsque j’entends les projections des résultats possibles, je suis affolé, j’ai peur de ces personnes qui se disent français de souche qui ne savent pas ce qu’ils font, des possibilités qu’ils ouvrent en se disant qu’on ne risque rien à voter pour essayer… Ils me font peur et ne savent pas ce qu’ils font.

La peur de me réveiller dans une France qui aurait basculé sur un mauvais versant m’a donné des cauchemars toute cette semaine. Alors oui, on peut se dire, oui mais non, ça n’arrivera pas, les gens vont se réveiller… Oui bien sûr, ce sont les mêmes qui ont essayé de lâcher une bombe atomique sur des civils ou qui envoyé des millions de Juifs en déportation. Donc, non, je n’ai pas confiance du tout.

Et demain je vais aller voter pour que le cauchemar cesse.

Photo by Mert Kahveci on Unsplash