L’Asterix du village

Publié le 21 avril 2021 par Pomdepin @pom2pin

J'ai déjà expliqué plusieurs fois qu'il y a un champs derrière chez nous, derrière une toute petite haie, pour la plus grande joie de Marcel et Capucine qui vont y chasser. L'agriculteur par contre, est très contrarié par cette haie, pourtant maigrichonne, parce que le soir, ça lui fait de l'ombre sur ces deux rangées là, et on ne pourrait pas la couper, et nos arbres plus loin aussi, tant qu'on y est, d'accord? Non. On s'est renseigné, on est dans notre bon droit et il n'a rien à dire. On soupçonne qu'il a entrepris depuis de faire crever la haie qui dépérit mystérieusement à vue d'œil. Qu'à cela ne tienne, on va mettre une palissade en bois de deux mètres, la mairie a donné son accord, et toc. Pour être poli, on s'est quand même dit qu'on pouvait prévenir l'agriculteur, même si on n'a pas à le faire. Depuis, je scrute donc tous les mouvements derrière la haie pour essayer de lui tomber dessus.

Son champs est parfaitement visible depuis les fenêtres des étages. On se demande depuis qu'on est là pourquoi, au beau milieu des rangées de pommes de terres, vraiment en plein champs, il y a un carré de potager avec une cahute en bois brinquebalante et des fleurs, c'est tout mignon. Tellement mignon que ça surprend de la part de cet agriculteur connu dans tout le village pour être extrêmement grincheux (il est fâché avec tout le monde), et près de ses sous, pas pour être bucolique et poète. Lundi, j'ai aperçu une forme qui s'agitait de la binette dans ce carré. Je n'ai pas hésité à fendre la haie pour aller informer ce monsieur de l'arrivée prochaine de la palissade. Tiens, il a sacrément pris un coup de vieux, l'agriculteur. C'est pas possible, ça doit plutôt être son père, ce petit papi cramponné à sa binette...

Et bien pas du tout, ce vieux monsieur qui approche allègrement des 90 ans, est en fait l'Asterix du village, le dernier des mohicans des jardins ouvriers: le champs faisait partie de la propriété d'un ancien maire, donc était autrefois rattaché à notre jardin. C'est grâce à ce maire qu'il a été transformé, il y a cinquante ans, en jardins ouvriers pour moitié. L'autre bout a été cédé à la famille de l'agriculteur qui depuis, de départs en maison de retraite en décès, grignote peu à peu tous les jardins ouvriers. Il ne reste que ce vieux monsieur, armé de sa binette, de sa casquette poussiéreuse et de sa détermination. Nous sommes en 2021 après Jesus-Christ. Tout le champs est occupé par l'agriculteur...tout? Non! Un petit vieux irréductible résiste encore et toujours à l'envahisseur.

Marichéri qui ne me voyant pas revenir, a fini par traverser la haie, était aussi charmé que moi. Le vieux monsieur était ravi d'avoir de la compagnie. On a eu droit à la visite du petit potager, là, il y a des oignons, et là, des petits pois, et là, c'est sa cabane, il vient y passer les après-midis avec son journal. Il y est bien, il profite parce que chez lui toute la journée, il s'emmerde. Ce sont ses mots. Il était content d'apprendre le nom de Marcel, qui vient souvent le voir et chasser les mulots...ah oui, ça on est au courant, vu qu'il nous les ramène! Notre vieux monsieur nous a expliqué qu'il ne cédera pas, il n'abandonnera jamais son jardin à l'agriculteur, qui est allé planter juste à ras de son terrain (et de notre haie), et même sur le chemin qui y mène, alors qu'il n'a pas le droit. C'est un scandale, cet agriculteur est un sournois, on est bien d'accord. On est de tout cœur avec notre nouvel ami, on va résister avec lui!

Il n'y a rien de tel que de se découvrir un ennemi commun pour forger de nouvelles amitiés. Je scrute donc toujours derrière la haie, mais pour aller discuter avec notre Astérix local maintenant. Il a l'air très content d'avoir trouvé des alliés dans sa lutte contre l'agricolarum, l'agricolae, l'agricoli, l'envahisseur.