En passant par la Lorraine : l’histoire de la comptine

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C’est un classique de nos comptines françaises. Qui ne connait pas l’air de “En passant par la Lorraine”, avec ses sabots, sa dondaine, ses trois capitaines et le fameux “oh Oh OH” ? Mais derrière cette joyeuse comptine se cache toute une histoire bourrée d’anecdotes. A coup sûr, après avoir lu ces lignes, vous ne l’entendrez plus de la même façon !

La mélodie de la comptine : En passant par la Lorraine

Rien de tel qu’une vidéo pour se faire une idée de la mélodie… au cas où vous auriez oublié vos classiques 🙂

Cette vidéo publiée sur YouTube a été vue plus de 3,6 millions de fois, preuve de son succès auprès des enfants… et des plus grands !


Les paroles de la comptine : En passant par la Lorraine

Avant de rentrer dans les détails, rappelons-nous des paroles.

On ne retient souvent que les paroles du premier couplet… mais la ritournelle est plutôt longue : pas moins de 6 couplets. Et elle raconte une histoire assez singulière, celle d’une paysanne moquée par des nobles.

Couplet 1

En passant par la Lorraine,
Avec mes sabots.
En passant par la Lorraine,
Avec mes sabots,
Rencontrai trois capitaines,
Avec mes sabots,
Dondaine, oh ! Oh ! OH !
Avec mes sabots.

Couplet 2

Rencontrai trois capitaines,
Avec mes sabots.
Rencontrai trois capitaines,
Avec mes sabots.
Ils m’ont appelée : Vilaine !
Avec mes sabots,
Dondaine, oh ! Oh ! OH !
Avec mes sabots.

Couplet 3

Ils m’ont appelée : Vilaine !
Avec mes sabots.
Ils m’ont appelée : Vilaine !
Avec mes sabots.
Je ne suis pas si vilaine,
Avec mes sabots,
Dondaine, oh ! Oh ! OH !
Avec mes sabots.

Couplet 4

Puisque le fils du roi m’aime,
Avec mes sabots.
Puisque le fils du roi m’aime,
Avec mes sabots.
Il m’a donné pour étrenne,
Avec mes sabots,
Dondaine, oh ! Oh ! OH !
Avec mes sabots.

Couplet 5

Un bouquet de marjolaine,
Avec mes sabots.
Un bouquet de marjolaine,
Avec mes sabots.
Je l’ai planté sur la plaine,
Avec mes sabots,
Dondaine, oh ! Oh ! OH !
Avec mes sabots.

Couplet 6

S’il fleurit, je serai reine,
Avec mes sabots.
S’il fleurit, je serai reine,
Avec mes sabots.
S’il y meurt, je perds ma peine,
Avec mes sabots,
Dondaine, oh ! Oh ! OH !
Avec mes sabots.


Les protagonistes de la comptine

Après avoir lu les paroles de la comptine, force est de constater qu’elle n’existe pas pour promouvoir la destination Lorraine aux auditeurs. En tout cas, ce n’est pas son propos.

Mise à part l’allusion à la province dans le premier couplet, la chanson populaire fait intervenir trois groupes de personnages : une jeune fille, trois capitaines et un prince (le fils du roi).

En passant par la Lorraine

La “vilaine aux sabots” et les trois capitaines

Les trois capitaines

Commençons par les trois compères. La comptine ne nous dit rien d’eux mais leur rang de capitaine les associe à la noblesse. Sont-ils des chevaliers du duc de Lorraine ? Du roi de France ? Mystère et boule de gomme (je vous donne un élément de réponse plus tard).

Ce que nous dit la chanson, c’est que ces messires se moquent d’une jeune fille de Lorraine. Une donzelle qu’ils prennent pour une gueuse :

“Ils m’ont appelée : Vilaine !
Avec mes sabots”

Aujourd’hui, le mot “vilaine” est synonyme de “méchante”, “malsaine” ou “mauvaise”. Toutefois, au moyen-âge, le mot “vilain” avait une signification un peu différente : un paysan, un gueux, un villageois, une personne laide. En nette opposition aux nobles, l’élite raffinée de la ville… qui, elle, ne chausse pas de vulgaires sabots !

Tiens, ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Une réplique d’un film de 1993 dans laquelle un certain Jacquouille la Fripouille lance :

“Merci, la gueuse ! Tu es un laideron mais tu es bien bonne.”

La vilaine fille de Lorraine

Attardons-nous un instant sur l’histoire de cette gueuse… euh, je veux dire de cette jeune fille aux sabots.

Qui est-elle ?

Là aussi, la chanson ne nous le dit pas. Mais nous avons quelques pistes.

Ainsi, l’histoire de la comptine rappelle curieusement le destin d’une pucelle de Lorraine. Non pas Jeanne de Domrémy… mais une certaine Louise de Nomeny.

Nomeny, c’est où ?

Nomeny est aujourd’hui une petite bourgade de 1150 habitants située à l’est de Pont-à-Mousson, à mi-chemin entre Nancy et Metz. Je connais assez bien la région car ma tante habitait dans les environs.

Elle a l’air de rien cette commune… mais si vous connaissiez son histoire, vous seriez surpris par ses liens avec Henri III… le roi de France en personne !

Ruines du château de Nomeny

Ruines du château de Nomeny

Jusqu’en 1548, Nomeny et son château-fort appartenaient aux évêques de Metz.

Nicolas de Lorraine (1524-1577), fils du duc de Lorraine, Antoine le Bon, reçut très jeune l’évêché de Metz (1543) puis celui de Verdun (1544). En 1548, il renonça à sa carrière épiscopale et acquit à son propre compte le ban de Nomeny. Il se maria l’année suivante à Marguerite d’Egmont. De leur union naquit Louise (30 avril 1553 au château de Nomeny).

A l’âge de 10 ans, la fillette fut placée au Palais ducal de Nancy, chez son cousin germain, le duc Charles III de Lorraine.

Palais Ducal, Nancy © French Moments

La cour du Palais Ducal de Nancy sous la neige © French Moments

La belle-mère de Cendrillon

La troisième épouse de son père, Catherine de Lorraine-Aumale se révéla une odieuse marâtre pour Louise et ses demi-frères et sœurs. On raconte qu’à vingt ans, la Louise était d’une grande beauté : grande et fine, blonde au teint blanc… oui, c’est ça : une véritable Cendrillon.

Louise de Lorraine

Louise de Lorraine

A l’automne 1573, Henri, le frère du roi de France, fut élu roi de Pologne. Il quitta la France en route pour Cracovie afin de prendre possession de son nouveau royaume. En passant par la Lorraine, il s’arrêta à Nancy où il fut accueilli au Palais ducal par son beau-frère (le duc Charles III de Lorraine, marié à la sœur d’Henri, Claude de France).

Souvenons-nous qu’à l’époque, le duché de Lorraine était un état autonome au sein du Saint-Empire romain germanique.

Au bal de Cendrillon

Tous les membres de la noblesse lorraine furent invités aux réjouissances données en l’honneur du nouveau souverain polonais. Dont Louise, en sa qualité de princesse de Vaudémont et cousine du duc de Lorraine.

Henri de France remarqua Louise et trouva en elle une certaine ressemblance avec son idylle d’alors, Marie de Clèves.

Le cœur d’Henri battait pour Marie et souhaitait tant l’épouser. Pas de chance, elle était déjà mariée à Henri de Bourbon, prince de Condé.

Le roi est mort, vive le roi !

Moins d’un an plus tard, le roi Charles IX de France mourut prématurément. Henri fut rappelé en France pour succéder à son frère… sous le nom de Henri III de France.

Quelques mois plus tard, Marie de Clèves mourut en couches à l’âge de 21 ans. Le nouveau roi, qui avait tant espéré l’épouser, fut inconsolable.

Les services d’Entremetteuse Matrimonial SA !

La reine-mère Catherine de Médicis fut bien décidée à trouver une illustre princesse étrangère pour caser son fils Henri une fois pour toutes. Celui-ci devait absolument se marier pour assurer la descendance de la dynastie des Valois. Catherine était en quelque sorte aux commandes de Entremetteuse Matrimoniale SA et comptait bien mener ses affaires jusqu’au bout.

Mais c’était contre le gré du jeune roi qui jouait au difficile. Il refusa toutes les jeunes filles qu’on lui présentait. C’est alors qu’il se souvint de Louise, celle qui ressemblait tant à la princesse de Clèves. Vous vous souvenez. il l’avait rencontrée au bal en passant par la Lorraine !

Autant vous dire que la reine-mère ne fut de bonne humeur à l’annonce de cette nouvelle… car Louise était d’un parti très très modeste pour un roi de France ! Une vilaine, quoi !

Les envoyés du roi

Contre toute attente, le roi décida d’épouser la vilaine et mandata deux officiers pour ramener l’heureuse élue auprès de lui. On connait même les noms des deux hommes de confiance du roi :Philippe Hurault de Cheverny, son futur chancelier, et Michel Du Guast, marquis de Montgauger.

Ahh, quand je vous disais que c’était une histoire de Cendrillon !

Le duc de Lorraine Charles III accueillit les messagers du roi de France à Nancy et demanda à un de ses hommes de les accompagner jusqu’à Nomeny.

Ainsi, les trois hommes s’en allèrent chercher la Louise dans une petite bourgade perdue dans le terroir de lorraine… tels trois capitaines qui s’aventurèrent hors des murs du palais ! A la recherche d’une gueuse en pleine campagne.

La comptine nous dit que :

“Rencontrai trois capitaines,
Avec mes sabots.
Ils m’ont appelée : Vilaine !
Avec mes sabots”

Ceci est un petit raccourci historique. Car les trois capitaines en question se sont rendus à Nomeny sans rencontrer de jeune paysanne sur leur chemin (pas Louise en tout cas). On sait que la jeune fille était en pèlerinage à Saint-Nicolas-de-Port pendant la visite des envoyés du roi… et ce fut le père de Louise, Nicolas de Lorraine, qui les reçut à grailler ! (comprenez, à manger)

Pour une surprise, c’est une surprise !

Comme on peut le deviner, le père de Louise n’attendit pas le retour de sa fille pour lui demander son avis. Honoré à l’idée de devenir le beau-père du roi de France, le Nicolas donna son consentement sans hésitation.

Ah bah ça, les absents ont toujours tort, c’est bien connu !

Ce n’est qu’au retour de son pèlerinage que la Louise apprit la nouvelle. Et elle refusa même d’y croire au début !

En fait, on ne sait trop bien ce qu’elle en pensait vraiment… soit elle joua à l’ado rebelle :

“Môôôn !!! T’es vraiment une quiche si tu crois qu’je vais me marier à un inconnu contre mon gré !”

Soit elle fut folle de joie :

“Oh, et moi qui croyais moisir toute ma vie dans ce trou perdu avec ces fichus sabots ! Adieu la Lorraine et à moi PARIS !”

Et on l’imagine bien chanter un autre répertoire :

“Libérée, délivrééeeee !”

Henri III et Louise de Lorraine

Henri III et Louise de Lorraine

Un mariage royal

Les événements s’enchainèrent. Ainsi, le 15 février 1575, on célébra à la fois le sacre du roi de France Henri III et son mariage avec Louise de Lorraine-Vaudémont dans la cathédrale de Reims. Bah oui, tant qu’on peut faire d’une pierre deux coups !

À la fin du mois, c’est ensemble en amoureux qu’ils entrèrent à Paris. Louise s’installa au palais du Louvre. La voici désormais reine de France.

“Adieux sabots, dondaines et capitaines moqueurs… moi je suis à Paris !!

Si l’histoire de Louise vous enchante, lisez sa bio sur wikipedia. Vous apprendrez que son union avec Henri III fut un mariage d’amour, ce qui n’empêcha pas le roi de multiplier les aventures avec d’autres jeunes filles…

Et les Dondaines dans tout ça ?

Bah tiens, on a oublié de parler des Dondaines qui ponctuent la comptine. C’est quoi au juste une dondaine ?

Une dame avec de l’embonpoint ?

Un mot créée juste pour faire un effet de style ?

Le synonyme de “Dis donc” ?

Il s’agit tout simplement d’un projectile tiré par les arbalètes au moyen-âge. La dondaine (ou le dondon) était réservée à un usage militaire et avait la forme d’une grosse femme… mouais, une sorte de dondon dodue !


En passant par la Bretagne !

Ahh, cette comptine : quel beau fleuron du patrimoine culturel lorrain !

Et pourtant, quand on cherche un peu, il y a quelque chose de troublant.

Car la fameuse mélodie ne serait pas du tout lorraine mais… bretonne !

En effet, on retrouve son origine au pays des dolmens : “M’en revenant de Rennes”.

Oui, Rennes en Ile-et-… Vilaine !

En voici les deux premiers couplets :

M’en revenant de Rennes
Mignon de la goguette tout doux
Cheminant vers Paris
Landeri, landera, landeri
Cheminant vers Paris

J’ai rencontré trois Dames
Mignon de la goguette tout doux
Qui chantait à ravi’
Landeri, landera, landeri
Qui chantait à ravi’

Une chanson tombée dans l’oubli qui date du 16e siècle (au moins).

Et surtout, une chanson dont la mélodie a vite fait des variants !

Une duchesse en sabots, mirlitontaine !

Ainsi, une autre comptine a véhiculé l’image de la bonne duchesse Anne de Bretagne, une noble dame en sabots.

Couplet 1

C’était Anne de Bretagne, duchesse en sabots
C’était Anne de Bretagne, duchesse en sabots
Revenant de ses domaines en sabots, mirlitontaine,
Ah, Ah, Ah ! Vive les sabots de bois !

Couplet 4

Voilà qu’aux portes de Rennes, duchesse en sabots (bis)
Voilà qu’aux portes de Rennes, duchesse en sabots (bis)
L’on vit trois beaux capitaines en sabots, mirlitontaine,
Ah, Ah, Ah ! Vive les sabots de bois !

Entendez-vous combien la mélodie n’est pas si éloignée de celle d’En passant par la Lorraine ?

J’ai appris qu’elle a longtemps animé les dîners celtiques à Paris entre de nombreuses personnalités bretonnes.


Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine !

Comme on l’a dit, la mélodie était tombée dans l’oubli… jusqu’à la fin du 19e siècle.

Ouvrons à présent nos livres d’histoire.

La guerre franco-prussienne de 1870-71 se solda par la défaite de la France. Au traité de Francfort, le chancelier prussien Bismarck obtint l’Alsace et le département lorrain de la Moselle.

Face à cet affront, la jeune IIIe République ne manqua pas d’insuffler aux Français la revanche. On ne devait jamais oublier l’Alsace-Lorraine.

Et quoi de mieux que de préparer les esprits chez les enfants… ceux qui deviendront plus tard les soldats dont la France aura besoin pour récupérer les provinces perdues !

Allez, ni vu ni connu, je vous glisse-là une petite comptine innocente qui fera l’affaire dans les écoles de la République.

On ressortit des cartons la mélodie bretonne, on ajouta un refrain (les sabots, dondaine) puis on dota le tout d’une musique militaire.

C’est ainsi que des chansons populaires comme En passant par la Lorraine permirent de préparer les enfants à la guerre… de façon discrète bien sûr !

C’est ça, vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine !

Alsace-Lorraine ou Alsace-moselle ?

Par ailleurs, l’Alsace-Lorraine est un terme qui peut prêter à confusion.

Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas toute la Lorraine qui a été annexée. Lors du Traité de Francfort (10 mai 1871), Bismarck a brillamment négocié l’annexion de plusieurs communes lorraines à l’Allemagne. Metz bien sûr, mais également des centres miniers et industriels stratégiques (Thionville, Forbach, Sarreguemines…). Pour se faire, on a démembré les départements de la Meurthe et de la Moselle pour satisfaire les exigences territoriales de l’ennemi.

Ainsi, on a défini de nouvelles limites départementales à la Lorraine en créant notamment un nouveau département : la Meurthe-et-Moselle [54] avec pour préfecture Nancy.

Celui de la Moselle [57] a vu ses limites remaniées. Longwy et le Pays-Haut furent rattachés à la nouvelle Meurthe-et-Moselle. Sarrebourg et Château-Salins furent englobés à la nouvelle Moselle et devinrent de facto allemands !

Pour résumer : Nancy, Epinal et Bar-le-Duc restèrent françaises tandis que Metz devint allemande.

Inauguration de la Gare 17 août 1908

Inauguration de la Gare de Metz le 17 août 1908 (pendant la période allemande)

Ainsi, seulement un quart de la superficie de la Lorraine fut annexée par l’Allemagne… ce qui amène certains à parler d’Alsace-Moselle plutôt que d’Alsace-Lorraine.

Lorsque les Français récupérèrent l’Alsace-Moselle en 1918, on préféra ne rien changer des limites départementales établies en 1871.

C’est ce qui explique la forme étrange du département de Meurthe-et-Moselle… à la fois démesuré (200 km du nord au sud) et étriqué (6 km dans sa partie la moins large).


En passant par la Lorraine : l’histoire continue…

La retour de l’Alsace-Lorraine à la France ne signa pas la fin de la ritournelle.

En Passant par la Lorraine resta une comptine populaire, interprétée à de nombreuses reprises (faites une recherche sur YouTube pour vous en rendre compte !)

La chansonnette a notamment influencé Georges Brassens pour écrire Les sabots d’Hélène :


Le mot de la fin

Enfin, pour terminer en beauté, voici une interprétation d’En passant par la Lorraine par le groupe Revels dans son recueil de chants irlandais, écossais et bretons… avec un charmant petit accent british 😉

Le mot de la fin ? Comme on dit en Lorraine :

A la revoyotte !


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