Histoires expatriées #4 – En haut

Histoires expatriées #4 – En haut Cet article participe au RDV #histoiresexpatriées organisé par le blog l'

Ce mois-ci, le concept des Histoires Expatriées change quelque peu - pour laisser plus de liberté aux bloggeurs et plus d'originalités dans les articles. Et le thème de ce mois est donc En haut. J'ai longuement réfléchi avant d'écrire sur ce thème. J'aurais pu parler de la rando mais je l'ai déjà fait de nombreuses fois. Idem pour la thématique des buildings ou des ascenseurs...

Puis... je suis allée à mon cours de cantonais et mon professeur m'a appris à m'exprimer en indiquant la temporalité (la semaine prochaine, la semaine passée...). Et là, ça a fait tilt !

Quel rapport avec le thème " En haut "... eh bien, mes chers lecteurs... sachez que :

  • le mois prochain se dit : " haa go yuet " (上面月), ce qui signifie littéralement " le mois du bas " ;
  • et le mois passé se dit " seung go yuet " (上個月)- , ce qui signifie littéralement " le mois du haut " !

C'est bête... mais moi, cela m'a surpris. Pourquoi le passé est en haut ? Et surtout... pourquoi le futur est en bas ? Naturellement, si je dois visualiser le passé, je le mets déjà derrière moi, et je le mets en bas - comme un socle sur lequel je m'appuie alors que le futur est devant moi, en haut - ouvert comme le ciel. Mais est-ce une vision uniforme, partagée par tous les humains ? Eh bien, en fait... non. A Hong-Kong, par exemple, l'ordre des choses n'est pas le même.

J'ai demandé à mon ami J. pourquoi c'était comme ça. J. n'est pas linguiste mais il est hongkongais et on discute toujours de sujets variés et improbables.

Il a donc réfléchi un peu (surpris d'abord par ma question... le mois du bas et le mois du haut sont des expressions tellement ancrées et quotidiennes qu'il ne les avait jamais associées avec le haut et le bas, littéralement). Puis, il m'a dit : Eh bien c'est logique. C'est comme l'écriture. Quand on écrit en chinois, on écrit de haut en bas. Donc le haut, c'est le commencement et le bas, c'est la suite.

J'ai alors fait quelques petites recherches... et il s'avère qu'il existe des bouquins entiers sur le sujet ! (Ma question ne sort donc pas de nulle part !). J'ai donc feuilleté en ligne le livre Translation and Cross-Cultural Communication Studies in the Asia Pacific, dans lequel on peut lire que - le peuple chinois étant un peuple essentiellement rural - c'est le mouvement du soleil qui a contribué à la conceptualisation de l'expérience spatiale dans la langue.

En gros, le soleil se lève à gauche et se couche à droite. Et il retourne à la terre après. Ce qui est passé est donc en haut - comme le soleil au zénith et ce qui est à venir est en bas, comme le soleil qui se couche. Ils disent aussi que c'est l'écriture qui a contribué à ce facteur. Avant l'avènement du papier, ils écrivaient sur des os d'animaux, ou encore sur des bambous. Il était donc obligatoire d'écrire de haut en bas. Et donc... " Chinese people tend to think that up as what happens first and down as what coming next. " (Et de ce fait, les chinois pensent que ce qui vient en haut se passe en premier, et ce qui vient après se passe en bas...).

Une étude menée par des chercheurs de l'Université de Tilburg le confirme : " Des recherches récentes montrent que les Chinois, lorsqu'ils font des gestes à propos du temps, ont tendance à mettre le passé "en avant" et l'avenir "derrière". " - alors que nous, occidentaux - le mettons plutôt dans le sens inverse.

Mon ami J. me l'a confirmé. Lorsqu'on dit "avant" (ji ceen) et "après", en cantonais, on utilise les mots "front - en face de" et "back - derrière...". Par exemple, si je souhaite dire " Avant, je jouais au basketball... ". Je vais littéralement dire : " En face de moi, je jouais au basketball ".

Selon l'article (qui est très détaillé - je vous conseille de le lire si cela vous intéresse), si les Chinois cartographieraient le passé comme étant devant eux, et non derrière, c'est car le passé et l'histoire du pays sont importants. Probablement plus importants que dans notre culture occidentale où ce qui compte c'est l'avenir. En effet, comme le dit l'étude, " étant donné que les gens mettent habituellement en avant ce qu'ils considèrent comme important, si le passé est important, il est hautement prioritaire de se placer en avant. "

Certains participants de l'étude auraient même expliqué (de manière très logique), que " l'avenir est inconnu et que l'on ne peut pas le voir (il est donc à l'arrière). "

Voilà une petite parenthèse philosophique qui se dessine : l'avenir est-il devant, derrière, au-dessus ou au-dessous de nous ? Vous avez trois heures... 😊

Histoires expatriées #4 – En haut

Et moi, de mon côté, je vais continuer de réviser mon cantonais. Je ne finirai très certainement pas totalement bilingue mais ma perception du monde, mes certitudes et ma vision des choses sont à chaque fois ébranlées... et je ne peux qu'en ressortir largement enrichie !

***

Cet article participe au rendez-vous #histoireexpatriées créé par le blog . Ce rendez-vous mensuel réunit des bloggeurs expatriés à travers le monde autour d'un thème et nous permet de connaître la vie de différents pays!

Les autres participants :