Papier Do et portrait de Ky

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Comme d’habitude, l’une des vocations de ce blog est de mettre en avant des portraits vietnamiens disposés à vous recevoir lors d’un échange sur une thématique particulière. Dans cet article, j’ai le plaisir de vous présenter Mlle.Ky et son atelier qui vise à préserver le métier d’imprimerie. Quand on parle du papier ancien, c’est souvent le papyrus égyptien en tête. Quand on pense à l’imprimerie à grande échelle, c’est Gutenberg qui vient à l’esprit. Au Vietnam, nous avons un équivalent du papyrus : le papier Do qui vient de l’écorce de Rhamnoneuron. C’est un arbre endémique qui ne pousse que dans certaines régions du Nord Vietnam.

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Appapu vers le 13e siècle, le papier Dó était largement utilisé comme support d’écrit pour tous les décrets royaux et des archives administratives. C’était le seul support pour tous les écrits jusqu’à la colonisation française au 19e siècle. Face à de grosses machines industrielles, le papier Do a perdu peu à peu sa place dans la société actuelle. À cause de sa fabrication artisanale, le papier Do ne peut pas compétitionner avec le format A4 industriel. En outre, il faut savoir aussi que la plus grosse commande vient souvent de la dysnastie royale. Celle-ci a disparu en 1945. Pour survivre, le papier Do avait très peu d’options. Le seul débouché était la fabrication des estampes folkloriques. Toutefois, cette tradition doit aussi faire face à l’indifférence des Vietnamiens plus attirés par les affichages publicitaires.

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Le papier Do risque de disparaître un jour, si l’on n’essaie pas d’innover et de sensibiliser le public. C’est la genèse du projet Zo Project, initié en 2013 par une équipe de trois jeunes filles : Nhung, Ky et Giang. Issus des milieux différents, les trois partagent une passion commune pour l’artisanat traditionnel et la calligraphie vietnamienne. Leur projet consiste à innover le style à partir du papier Do. C’était un parcours de combattant. Comment peut-on trouver des débouchés pour un vieux support dont l’utilité reste dans l’ombre du papier industriel? Pour trouver la réponse, l’équipe a dû voyager dans quelques pays qui possèdent aussi une grande tradition artisanale.

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C’est au Japon que l’équipe a découvert des techniques de préservation intéressantes. C’est le processus japonais qui fut adopté pour le papier Do. Une fois qu’on a la matière première, il faut faire quelque chose avec. On peut  confectionner plein de trucs sympathiques tels que : lanternes, carnets de voyage, albums photo, calendriers, éventails, boucles d’oreille, bracelets, etc.

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En vendant les articles, ça crée des commandes et du travail pour les familles d’artisans qui  fabriquent du papier. De ce fait, Zo Project est une entreprise sociale par excellence. Le projet travaille en collaboration avec 2 familles d’artisans qui habitent dans les plantations situées à 70km d’Hanoi. Selon Ky, l’objectif du projet est de maintenir une commande de 2000 unités de papier Do par mois. Cela va générer autour de 1,500 USD par mois, ce qui permettra de bien rémunérer des artisans. Il faut souligner que tous les artisans font partie de l’ethnie Muong. En montant le projet, Ky et son équipe, souhaite devenir leur porte-parole pour parler du labeur et de l’endurance qu’ils vivent depuis des années.

Le hasard m’a emmené à la boutique du projet en 2017. Lors d’une balade le long des voies ferrées à Hanoi, j’ai succombé à la beauté des objets. Voilà la naissance d’un partenariat entre Zo Project et TTB TRAVEL qui sont fiers de valoriser l’identité vietnamienne  à travers les voyages. Nous sommes réunis sur une philosophie : un peuple qui oublie ses traditions ancestrales, c’est un peuple qui perd sa propre racine identitaire.

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Lors d’une récente conversation, Ky m’a raconté le chemin qui l’a emmenée à ce projet passionnant.  Diplômée de la Faculté de langue anglaise en 2009, elle donnait des cours d’anglais privés. Au bout de trois ans, un peu lassée de la routine, elle cherchait de nouveaux challenges qui devraient concilier à la fois l’échange international, le côté artistique et la pédagogie ludique. Voilà un « fit » parfait avec Zo Project. Ky a rejoint l’équipe dès sa fondation en 2013.

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Elle ne connaissait absolument rien au sujet du papier Do. Il a fallu un an d’apprentissage auprès des artisans pour maîtriser plus ou moins toutes les étapes de fabrication. Il s’agit du village Suoi Co, situé au coeur d’une végétation luxuriante.

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À partir de là, il a fallu ensuite créer des styles pragmatiques sur base du papier Do. Si l’on se limite uniquement à la fabrication du papier, c’est mort. Il faut inventer des articles à forte valeur ajoutée qui plaisent aux jeunes générations.

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L’équipe a travaillé jour et nuit pour créer les  prototypes dont : carnet de voyage, journal de bord, éventail, calendrier gros format, carte postale, etc. La collection s’agrandit au fil du temps pour arriver à une vingtaine de styles.

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Niché au coeur du quartier de la cathédrale Saint-Joseph, l’atelier est actuellement géré par Ky et Giang. Nhung prend récemment un congé de maternité. Elle cumule plusieurs casquettes, dont la communication et l’animation des ateliers. De nombreux efforts ont été déployés pour sensibiliser le public vietnamien, en commençant par le milieu artistique. Le papier Do peut très bien s’appliquer à l’art contemporain. Aujourd’hui, Ky est fière de fédérer une forte communauté d’artistes prête à soutenir le projet. Ce sont des calligraphes, photographes, experts d’origami, peintres, sculpteurs, etc. Certains ont conçu des modèles à la vente pour le compte du projet.

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La plupart des prototypes sont conçus soit par l’équipe soit par les artistes bien connus du public vietnamien. Par la suite, le projet fait appel à une dizaine de bénévoles pour la confection des articles.

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Très engagée dans la démarche pédagogique, Ky s’investit pleinement dans la sensibilisation auprès des enfants vietnamiens. Depuis 2016, son équipe a réussi à intégrer l’atelier de bricolage dans le programme éducatif de nombreuses écoles hanoïennes. Concrètement, les enfants viennent apprendre à confectionner des objets simples sur la base du papier Do. Cette activité est entièrement gratuite pour eux. Par intermédiaire des enfants, les parents vietnamiens seraient aussi sensibilisés. Tel est le but du projet : promouvoir la préservation de cet art ancestral à un grand nombre de Vietnamiens.

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Au-delà de la vente des articles, l’expérience que je souhaite mettre en avant est l’initiation aux travaux manuels. Pendant deux heures environ, les voyageurs auront l’occasion d’écouter l’histoire de cette matière spéciale et de mettre la main à la pâte. Et puis, vous partez avec les oeuvres que vous réalisez. C’est le meilleur moyen d’appréhender la vraie valeur du papier Do, au-delà de sa simplicité.