Bénarès / portfolio

Publié le 25 août 2019 par Roland Meige
© Roland Meige

Varanasi -Bénarès, Uttar Pradesh, Inde / 25° 18′ N 82° 59′E / 1982

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Au hasard, dans Bénarès

 (…) Il règne à Bénarès une ambiance de méditation et de prière qui vous porte, comme disent les Sages de la petite maison du silence; c’est vrai ce qu’ils affirment, que même après un court séjour on n’est déjà plus celui qu’on était à l’arrivée. Et pourtant nulle part la fantasmagorie de ce monde n’est plus charmeuse; nulle part la forme n’est plus troublante, ni la chair plus tentatrice; entre l’appel d’en bas et l’appel d’en haut, il y a lutte et déséquilibre. (…) Presque toutes les rues viennent aboutir au Gange, et là, elles s’élargissent, elles s’éclairent; là, c’est tout à coup la magnificence, les palais, la lumière des flots. (…) Ce fleuve, c’est toute la raison d’être, toute la vie de Bénarès. Du fond des palais ou des jungles, de partout, on vient pour mourir sur ces bords sacrés. (…) Oh ! Mourir à Bénarès ! Mourir au bord du Gange, avoir là son cadavre baigné une suprême fois, avoir là sa cendre jetée !… »

Pierre Loti. L’Inde (Sans les Anglais).
in : Pierre Loti. Voyages (1872-1913). Bouquins. Laffont. Paris, 1991

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Marche à l’ombre à Bénarès

(…) Quand il fait aussi chaud, le monde dont les cartes, les guides touristiques et les récits des voyageurs attestent pourtant l’existence, se liquéfie, très loin, faute que l’esprit puisse le coaguler; se dérobe, faute d’aspérités auxquelles s’accrocher pour saisir, comprendre – mais comprendre quoi ?
Il lui manque le poids, la découpe précise et assurée que confère aux objets l’air himalayen soufflé mécaniquement dans les hôtels, et sans lequel le réel abdique toute consistance.
Je n’ai rien entendu, rien compris de Bénarès. Ni ce que je voyais, ni ce qu’il fallait voir, ni ce que pensaient les gens, ni même où ils allaient quand ils marchaient dans la rue, ni ce qu’ils voulaient dire en répondant à tout, contre toute évidence : « No problem », ni s’il n’y a pas de problème parce qu’il n’y a pas de solution, comme le soutenait Marcel Duchamp, ou bien pas de solution parce qu’il n’y a pas de problème, ni rien du tout en fait.
J’ai simplement eu chaud, et tout de suite encore le papier se gondole sous ma main. Mais ça va mieux, l’univers reprend forme, pour mieux tromper son monde.
Un sage bouddhiste l’a dit : « Toute n’est qu’illusion, seul l’air conditionné est réel.(…)

Emmanuel Carrère. Marche à l’ombre à Bénarès 1986
in : Emmanuel Carrère. Faire effraction dans le réel. P.O.L. Paris. 2018

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