Ile de Phu Quoc à l’ère des Bulldozers

Publié le 22 juin 2019 par Van Thai Nguyen


L’ile de Phu Quoc pour les Vietnamiens est comme l’île de beauté pour les Français (la Corse). Dans le pays, les Vietnamiens lui donnent un surnom très romancé : île de la Perle. Même s’il y a plusieurs îles longeant les 3,200km de côte, l’ile de Phu Quoc reste toujours la référence quand on pense à une station balnéaire. Victime de son succès, cette perle découverte au début des années 2000 est en train de devenir un cauchemar écologique. Le paradis terrestre pour les touristes est en fait un enfer terrestre pour les habitants insulaires.

Le tourisme de masse commence par la facilité d’accès

Je me souviens de mon premier voyage en famille en 1999. J’avais 14 ans à l’époque. Pour atteindre l’ile de Phu Quoc, c’était une véritable odyssée. D’abord, il fallait 8 heures de route pour un transfert terrestre depuis Ho Chi Minh Ville. Par la suite, il fallait 8 heures de navigation en pleine mer pour atteindre un port minuscule de l’ile de Phu Quoc. Il n’y avait pas d’infrastructure ici. La seule possibilité d’hébergement était de passer la nuit chez l’habitant pour une île forte de 70,000 âmes. Voilà un endroit à la Robinson Crusoe au sens strict du terme. Bien évidemment, avec une difficulté d’accès pareille, l’ile de Phu Quoc n’était pas un endroit idéal pour ceux qui cherchent le fantasme balnéaire.

Et puis, l’année 2004 a marqué une période charnière, parce que l’île fut « élue » comme une zone économique spéciale. Hélas! Un aéroport fut construit pour mettre en place des connexions aériennes directes et une ligne de transport maritime fut également initiée à partir de la ville de Rach Gia. Désormais, au lieu de passer 16 heures depuis Saigon, ce sera une heure de vol. Au lieu de passer 8 heures en pleine mer en bateau de pêche, ce sera 2 heures en bateau rapide. Voilà un excellent moyen pour brasser le monde! Le transport facile est le premier facteur qui génère le tourisme de masse.

El dorado des promoteurs immobiliers

Je me rappelle l’année 2005, où j’ai connu pour la première fois l’ile de Phu Quoc en tant que station balnéaire pour les touristes étrangers. Bien sûr, tout Vietnamien de base connaît cette île par intermédiaire de sa sauce de poisson. Mais pour investir dans les hôtels de luxe pour développer une station balnéaire dans cet endroit, c’était inédit à l’époque. Tout était vierge avec une poignée d’hébergements de qualité dont la Veranda Resort qui appartient à la marque M Gallery du groupe Accor. Et puis, en 2006, le Vietnam est officiellement entré dans l’Organisation Mondiale du Commerce. Les hommes politiques en ont profité à fond pour inventer de nombreuses « zones économiques spéciales ». Grosso modo, ce sont les endroits où le gouvernement fera tout pour attirer les investissements massifs de l’étranger afin de booster le PIB. Comme on le sait tous, le PIB est un facteur important pour mesurer la croissance d’un pays. Booster le PIB, même d’une manière virtuelle, via les investissements en immobilier est une formule magique ! Donc, les cadres politiques ont fait bonne presse à ces zones économiques spéciales dont l’ile de Phu Quoc fait partie.

Comme Sapa et la Baie d’Halong, depuis une quinzaine d’années, l’ile de Phu Quoc est un terrain fertile pour la spéculation immobilière, le blanchiment d’argent, et la corruption. La quasi-totalité des projets de construction et des achats de terrain est d’ordre économique.

D’une part, ce sont des groupes hôteliers qui investissent dans les ressorts, d’autre part, ce sont les Vietnamiens (sociétés ou particuliers) qui achètent les terrains dans l’espoir de revendre au prix plus fort. Le projet le plus connu est celui de Vin Pearl qui occupe lui-seul 5% la superficie de l’île, dans le secteur nord.

Tous les projets ne visent pas forcément à se concrétiser et à contribuer économiquement à l’ile de Phu Quoc. Plusieurs projets fantômes sont inventés uniquement pour la spéculation. Ceci explique pourquoi une bonne partie des terrains sont verrouillés uniquement pour la vente et la revente, mais aucune construction n’est finalisée.

Selon l’information que j’ai eue lors d’un repérage en 2018, le prix d’un terrain est multiplié par dix en espace de 6 ans. Tout cela est lié à la spéculation mal contrôlée par les autorités locales. Enfin, c’est ce qu’on dit dans les médias, mais tous Vietnamiens savent très bien que c’est une volonté délibérée de leur part. Autoriser volontairement la spéculation immobilière veut dire toucher des pots-de-vin. C’est exactement la même tactique que l’on connaît bien à Sapa, la Baie d’Halong, Danang et Hoi An

Les pilleurs de ressources

À l’heure actuelle, l’ile de Phu Quoc est un incroyable contraste social. Vers la côte, c’est une série de ressort de toutes les gammes pour les touristes. Entre les hébergements, se glissent des constructions gigantesques. A l’intérieur de l’île, il y a partout des chantiers qui sont en train de remplacer les terrains agricoles et la forêt. Pour alimenter ces constructions, ça prend de l’eau, ça prend des terrains.

Une fois que les constructions sont complètes, il faut aussi mobiliser de l’eau pour la douche des touristes et remplir leur piscine « infinity pool ». L’eau courante est une ressource rare pour toute vie insulaire comme celle de Phu Quoc. Elle sert à l’agriculture et au besoin quotidien des habitants. Maintenant, cette ressource est pillée pour servir en priorité les touristes.

Ce qui est dramatique ici, c’est que les autorités locales sont complices de ce pillage. Elles ne font rien pour protéger son peuple. Elles auraient pu empêcher tout projet de construction et limiter les dégâts. Et pourtant, elles ont systématiquement donné feu vert à toute demande, pourvu que le « remerciement sous la table » soit généreux.

C’est pourquoi les milliers de ressorts poussent comme les champignons et le nombre dépasse largement la capacité absorptive de l’ile de Phu Quoc. Les promoteurs sans scrupule n’hésitent pas à se servir des deux seules rivières sur l’île pour alimenter leur construction. Les déchets, souvent fossiles, sont jetés directement dans la mer et sur les deux rivières principales qui sont les seules sources d’eau potable pour la population locale. Elles sont sérieusement polluées.

Tout connaît la Mer Morte. Sur l’ile de Phu Quoc, on connaît une « Rivière Morte ». Celle-ci est littéralement morte à cause des déchets et de la pollution. Les bateaux ont du mal à avancer, car les déchets flottants les entourent. Il y a dix ans, les poissons étaient pléthoriques ici. Maintenant, ils sont remplacés par les sacs et bouteilles plastiques et poissons morts

Ces eaux usées ne sont pas recyclées, mais suivent les rivières pour se diriger vers l’estuaire, là où se trouvent les villages de pêcheurs. Contaminés par les salauds prix des touristes, les poissons sont morts. Dans le temps, les habitants de l’ile de Phu Quoc vivaient en autarcie et le poisson était la source alimentaire principale. Maintenant, cette source se tarit. Une autre richesse de l’île est détruite par le tourisme de masse.

Une autre activité agricole de l’île est la production de poivre. La proportion de plantations de poivre est beaucoup réduite à cause de la confiscation des terrains. La plupart de ces plantations se trouvent vers la côte, là où c’est propice à mettre en place des ressorts. Et puis, comme les touristes pillent de l’eau des habitants, comment peut-on alimenter des plantations ? De nombreuses familles ont dû cesser l’activité et se trouvent au chômage. Aucune reconversion professionnelle n’est possible. Du coup, qu’est qu’on fait ? On devient, soit voleurs, soit drogués, soit prostitués. On devient esclaves du tourisme de masse, quelque part.

Le droit de l’homme en question

Maintenant, ce sont les habitants de l’ile de Phu Quoc qui ramassent les problèmes. Déjà, ils ne sont pas prêts à accueillir la marée de touristes qui viennent déranger leur quotidien. Selon les dernières statistiques, pendant le premier trimestre de 2019, ce sont les 500,000 touristes qui débarquent sur l’île, soit 2 fois plus que ses habitants ! Vous pouvez imaginer facilement la quantité de déchets jetés sur les plages. Pour l’instant, l’ile de Phu Quoc ne possède aucun moyen pour recycler tout cela. Il n’y a même pas une seule décharge publique! Tout sera soit jeté directement dans la mer, soit enterré.

Un autre problème sérieux concerne le droit de propriété. Vendre à un prix dix fois plus élevé en quelques mois, c’est une trop belle opportunité. Comment on peut y renoncer? Les autorités locales l’ont très bien compris et n’hésitent pas à abuser leur pouvoir pour confisquer illégalement la maison des habitants. Une fois que les propriétaires sont dépouillés de leur bien, le terrain est donné aux promoteurs à un prix exorbitant. C’est l’origine du mécontentement général et de nombreuses manifestations et poursuites judiciaires contre le gouvernement ont été organisées. Le point culminant date de l’été 2018. Le gouvernement vietnamien a eu un projet de loi qui vise à céder l’ile de Phu Quoc à la Chine via un « bail de location » qui dure 99 ans. Pour un Vietnamien de base, c’est synonyme de la vente du territoire vietnamien pour toujours.

Voilà pourquoi cela a suscité une vive hostilité des Vietnamiens avec une vague de manifestations sans précédent. Les Hanoïens dont je fais partie témoignent de plusieurs grèves des provinciaux à ce sujet. Hélas! La corruption est une machine guerre bien huilée au Vietnam. Tout fonctionne à merveille pour écraser doucement toute manifestation et faire disparaître toute poursuite judiciaire qui vise les serviteurs du gouvernement.

C’est clair que les touristes ne sont pas très bien vus par les habitants de l’île. Malheureusement, dans un système où la démocratie est totalement absente, la voix du peuple n’a pas de valeur. Les gens de l’ile de Phu Quoc ont le même niveau de frustration que les habitants de Barcelone, Amsterdam, Dubrovnik, Venise, etc. Mais ils n’ont pas le même pouvoir pour faire du lobbying.

Dans les magazines, on parle de l’ile de Phu Quoc comme la belle au bois dormant. Malheureusement, une fois que cette belle se réveille, elle est violée collectivement par les promoteurs, les touristes, les courtiers immobiliers, et le gouvernement. En tant que professionnel, si j’envoie les clients là-bas, cela veut dire que je suis indirectement le complice de ce viol collectif. C’est totalement au contraire du principe déontologique qui anime ma profession. Voilà pourquoi j’écris cet article pour dévoiler toute la vérité. Si vous êtres une agence de voyages, réfléchissez deux fois avant de proposer l’ile de Phu Quoc.