Regrets? Hell no!


Ce n’est pas une surprise pour ceux qui ont la gentillesse de me lire régulièrement (merci mille fois): je continue à suivre de très, très près l’actualité britannique en générale et brexiteuse en particulier. En ce moment, il faut s’accrocher tellement c’est la pagaille générale. Comme j’en parle assez souvent, j’ai eu la surprise d’être contactée par des médias français qui se sont enfin rendus compte qu’il se passait quelque chose de l’autre de la Manche. On m’a demandé plusieurs fois si je regrettais d’être partie. Pas franchement non.

Regrets? Hell no!

Source

Je scrute l’évolution d’une pétition qui demande purement et simplement la révocation du brexit, mais c’est parce que ça m’intéresse, pas parce que j’ai envie de repartir en Angleterre. Elle a atteint presque 6 millions de signature à l’heure où j’écris (je mets le lien ici au cas improbable où des britanniques ou des européens en UK qui me lisent, ne sont pas encore au courant). On peut voir le pourcentage de signataires par constituency, par circonscription. J’ai donc regardé pour notre ancienne circonscription: 6,2%. Voilà. Il n’y a que 6,2 % de la population qui réclame l’annulation du brexit là où on vivait. Et c’est une circonscription assez rurale, pas très peuplée. Si ça se trouve, je connais personnellement tous les signataires sur place: les européens et leurs conjoints (et encore, je suis sûre que deux ou trois françaises pourtant pas naturalisées et mamans au foyer, donc ne rentrant pas dans les cases pour rester sans problème, que j’ai eu le « bonheur » de côtoyer, n’ont pas signé. Mais je ne dirai pas du mal des gens…). Tant que j’y étais, j’ai aussi regardé ce que ça donnait dans « la capitale du brexit » selon une chaîne d’info française, c’est à dire la circonscription à côté, dans le même borough council (communauté de communes). 2,9%. Soit une poignée de rigolos semi analphabètes (à cet endroit, c’est courant), qui ont probablement dû signer pour faire une blague ou par erreur (mais j’ai promis que je ne dirai pas du mal des gens…). Youpidoo donc.

Parallèlement, une autre pétition a été lancée pour demander au contraire un no deal, une sortie brutale. Elle est beaucoup plus confidentielle et remporte peu de succès. Quelqu’un a eu la bonne idée de faire une infographie pour montrer les endroits où cette deuxième pétition a plus de signatures que celle réclamant l’annulation du brexit. Devinez quoi? Et oui…notre ancienne constituency figure en bonne place parmi les rares où le no deal l’emporte. On avait vraiment bien choisi notre coin! Tout ça pour dire qu’il me suffit de regarder ces chiffres pour me souvenir des insultes, des regards qui se détournent, de l’ostracisme subi par mes enfants. De mon angoisse permanente, de cette peur panique qui m’empêchait de sortir de chez moi, de cette parano sourde quand je croisais quelqu’un. Alors est-ce que j’ai des regrets être partie? Pas du tout! J’ai une vie normale maintenant, enfin aussi normale que possible en sachant que Marichéri doit rester quelques nuits par semaine à Londres. Je ne m’inquiète pas plus que ça pour l’avenir de mes enfants (sauf pour L’Ado qui doit encore faire un an à Londres). C’est à dire qu’en ce moment, je stresse pour le bac de français de GeekAdo, mais je ne me demande plus si on ne va pas l’expulser du pays à 18 ans ou si il ne va pas être roué de coups dans le bus à cause de son nom étranger.

On m’a aussi demandé si il n’aurait pas suffit de déménager dans un coin de Grande Bretagne plus accueillant. On y a pensé, brièvement. Déjà, il est beaucoup plus facile et rapide d’aller à Londres depuis le Pas de Calais que depuis certains comtés anglais. Et même si on trouve un endroit où les habitants sont accueillants et ouverts, la loi sera la même dans tout le pays. Le brexit s’appliquera partout, les conséquences économiques seront les mêmes partout, que les voisins soient sympas ou pas. Quand je regarde l’état d’épuisement nerveux de mes amis restés là bas, je pleure pour eux. Je ne sais pas comment j’aurais tenu. Ils sont bringuebalés jour après jour entre espoirs que le brexit soit annulé et terreurs face aux conséquences d’un no deal. Pour chaque petit pas en faveur de leurs droits, ils se prennent une nouvelle révélation catastrophique sur les implications du settle status qu’on leur impose. Ça fait bientôt trois ans qu’on joue avec leur vie comme ça. Ils n’ont toujours aucune idée de ce qu’ils vont devenir. Alors des regrets? Hell no!

Tant que j’y suis, je précise à d’éventuels partisans du frexit qui viendraient faire campagne dans les environs que j’ai déjà tout entendu. Sauf que maintenant, je n’ai plus peur qu’on me foute dehors, j’ai des preuves anglaises que leurs idées sont aussi stupides que suicidaires et je suis beaucoup moins patiente. Maintenant, je mords.