Le petit requin prend de l’âge


Comme j’ai eu des demandes, je vous tiens au courant de nos dernières trouvailles concernant la maison du petit requin. Encore une fois, il y a un petit château et des maisons plus grandes et/ou plus anciennes dans le village, mais pas beaucoup: il a été bombardé en 1918 car il abritait l’état major britannique et ça a fait d’énormes dégâts. Notre maison a aussi une place à part dans l’histoire du village (ce qu’on ignorait complètement quand on a débarqué) car c’était celle de l’ancien maire et médecin qui lui-même l’avait achetée juste après la deuxième guerre mondiale au médecin de la mine et héros local de la résistance (qui lui élevait un petit requin dans le jardin, d’où le nom officieux de « maison du petit requin »).

Le petit requin prend de l’âge

(J’ai habilement caché les lieux de naissance…)

On sait plein de choses sur cet original. Il a même une rue à son nom, tellement les locaux en sont contents. On a appris, entre autres, qu’il cachait des aviateurs anglais. Notre cave était le point de ralliement pour tous les pilotes de la RAF tombés dans la région. Nos enfants franco-britanniques ont apprécié. Mais bon, ce qui nous intéresse maintenant, c’est de savoir qui vivait ici avant lui. On croyait qu’il était arrivé en 1936, c’est en fait en 1931. La date de construction indiquée par le notaire est de son propre aveu, une approximation, une partie des archives municipales ayant brûlé (toujours à cause des bombardements, mais aussi ceux de la deuxième guerre mondiale). C’est même une approximation de la rénovation de la maison qui a été touchée en 1918, pas de sa construction. Elle est sur la liste des maisons qui ont reçu des aides pour être réparées après les bombardements, à côté de celles qui ont été rasées parce que trop endommagées. Il n’y a pas à dire, on s’est éclaté dans le coin pendant les deux guerres!

On en était là quand j’ai pris mon courage et le reste des archives numérisées ou pas (et non calcinées je veux dire) à deux mains. Ça a pris un temps certain, j’ai tout épluché, vérifié, recoupé et je suis arrivée à une fourchette de dates: notre maison existait en 1911 mais pas en 1886. Tous les artisans qui se sont succédés depuis un an nous disaient estimer la construction à la fin du dix-neuvième, on est en plein dedans. De 1911 (ou peut-être avant) à 1931, il y avait un monde fou dans cette maison! A partir de 1924, ils étaient carrément 7…oui bon d’accord, nous aussi. Il y avait un monsieur qualifié sur le recensement de « négociant patron » mais on ne sait pas ce qu’il négociait. Il vivait ici avec sa deuxième femme et sa fille unique qu’il a eu avec sa première épouse, morte aussitôt après. Ça ne lui a pas entamé le moral, il s’est remarié au bout de trois mois. On ne perdait pas de temps à l’époque…En 1922, est arrivé son gendre, et donc en 1924 sa petite fille, unique encore. Il y avait aussi la bonne et l’ouvrier agricole. On ne comprenait pas trop ce qu’un ouvrier agricole fichait là jusqu’à ce qu’on apprenne que le champs derrière chez nous faisait partie de la maison jusqu’aux années soixante dix. Le médecin-maire y élevait des chevaux (d’ailleurs si par hasard le propriétaire actuel du champs me lit et qu’il veut vendre, ça nous intéresse). On en est là de l’exploration fastidieuse des archives. J’ai même mis la main sur le recensement militaire et j’ai trouvé une description de ce monsieur. Mais rien de plus précis sur son mystérieux négoce. Je n’ai aucune idée sur sa date d’emménagement exact dans la maison. On ne sait pas si c’est lui qui l’a faite construire (et si oui, quand) ou si il l’a racheté. Mais je cherche.

Pendant ce temps, on continue les travaux de rénovation. Le plâtrier a découvert une niche cachée sous la première marche de l’escalier et qui s’enfonce dans le plafond de la cave. Ça a été construit après, on voit la maçonnerie qui forme une sorte de poche sous la voûte en descendant à la cave. C’est très malin, il suffit d’appuyer sur un clou qui dépasse un peu et ça coulisse tout seul. L’excitation était à son comble quand on l’a ouverte, manque de chance elle est vide. Je suis extrêmement déçue. Le plâtrier ne s’est pas arrêté là. Il est sensé refaire les derniers plafonds qui sont encore recouverts de dalles de polystyrène (c’est la dernière tranche, l’entrée et les deux escaliers). Il vient de découvrir juste au dessus d’une porte, des inscriptions toutes passées et pas vraiment lisibles cachées sous une de ces immondes dalles. Franchement, c’est indéchiffrable. Il pense que le troisième mot serait « boîte » mais honnêtement, je n’y comprends rien à ces hiéroglyphes à moitié effacés. A l’heure où j’écris, le plâtrier est occupé à tapoter tout le plafond pour voir si ça sonne bizarre quelque part…oh, et on a appris grâce à sa femme, passionnée d’histoire locale, et au père de l’électricien qui s’intéresse aussi, qu’on a vraisemblablement un passage qui part de la cave et ressort quelques mètres plus loin à l’endroit de ce qu’on prenait pour une jardinière maçonnée innocente.

C’est ce que j’aime dans la maison du petit requin. Elle n’a rien de bien extraordinaire, il y a des centaines et des centaines de maisons de maître comme ça dans le coin mais elle passionne tous les gens qui y viennent et on est ravi de lui redonner vie. Le beau frère du vitrier qui n’avait rien à faire là, est même passé spontanément (et à ma grande surprise, c’est qui ce type?) pour apporter son expertise: son grand père mineur (le métier, par l’âge!) a été soigné par le docteur du petit requin. C’est grâce à lui qu’on a appris que le deuxième étage avait été aménagé dans les années trente en appartement pour la maman du docteur. On croyait que c’était pour la bonne, mais visiblement, elle n’avait pas droit un étage entier la pauvre fille! Par contre, les pièces existaient déjà au deuxième, en moins bien donc. On se dit que c’était peut-être pour loger la bonne précédente, celle du négociant et son ouvrier agricole. En tout cas, la maison du petit requin n’a pas fini de nous faire faire des rencontres…