Les gens du village

Publié le 02 octobre 2018 par Pomdepin @pom2pin

Peu à peu, je découvre la vie du village, ses notables, ses personnes a éviter, ses codes, ses ennemis, ses alliés, ses querelles ancestrales, ses histoires…ça m’amuse beaucoup, mais je suis bien décidée à ne rester qu’une observatrice attentive et pas plus, si je peux.

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C’est notre nouvel ami, le conseiller municipal d’un âge certain qui nous a fait prendre conscience de l’étiquette et des relations sociales dans le village. On savait déjà qu’il est très mal vu de ne pas faire ses courses chez les commerçants locaux. Ça se voit d’ailleurs qu’on est des gens biens, vu les sommes démentielles qu’on leur laisse et en plus, on prend le temps de discuter (à la différence des précédents propriétaires de la maison du petit requin qui ont non seulement laissé dépérir ce véritable monument historique du village, mais qu’on ne voyait jamais non plus. De l’avis général, des gens bizarres donc). Ça a beaucoup fait pour notre acceptation, sans compter qu’on a été au vin d’honneur municipal, on a participé aux festivités du 14 juillet et on est volontaire pour le 11 novembre. Mais quand le conseiller municipal nous a parlé des familles dont les ancêtres ont collaboré pendant la guerre, familles toujours plus ou moins ostracisées aujourd’hui, je me suis dit qu’il fallait me pencher un peu sur la dynamique sociale du village.

Déjà, il y a les villageois, les vrais et les nouveaux du lotissement à l’écart par là. C’est pas des gens comme nous, c’est évident. Ce n’est pas parce que ce lotissement date a vue de nez des années quatre vingt qu’il ne reste pas nouveau et qu’il peut faire partie du village comme ça. Non mais. De tout façon, les gens du lotissement vont toujours en ville et ne participent à rien, eux, même pas au concours village fleuri alors…il y a aussi une géographie sociale subtile par rue, voir côté de rue. Je m’y perds encore, heureusement que ce n’est pas grand, je finirai bien par comprendre! Le maire n’a pas d’appartenance politique définie, mais une opposition déterminée. Les sujets de discorde ne manquent pas, entre les dépenses qualifiées de dispendieuses des vins d’honneur (pourtant, j’ai trouvé ça très raisonnable mais je ne sais pas quels sont les critères locaux) et les nouveaux massifs devant l’église. On a même eu droit à une sorte de polycopié comme je pensais qu’il n’en existait plus depuis des siècles, qui est apparu soudainement dans les boites aux lettres, signé de « l’opposant mystère ». Si. Visiblement, son identité n’est un mystère pour personne mais je n’ose pas demander. Je ne veux pas commettre d’impair.

De toute façon, le centre névralgique du village ce n’est pas la mairie mais la boulangerie. La boulangère connaît tout et tout le monde et fait office de syndicat d’initiative, d’agence de renseignements et même d’assistante sociale. La pharmacienne reste dans son domaine, on discute petits bobos chez elle. En détails. Il est impossible de juste rentrer et sortir, il faut partager son moindre petit pépin de santé en long en large et en travers, si il y a du monde qui attend, c’est encore mieux parce que ça les intéresse et ils ont un avis sur la question. La boulangère aussi d’ailleurs puisque la conversation sera répétée chez elle. C’est plus calme à la boucherie. Il faut dire aussi que certains clients viennent des villages voisins. On se contente de parler météo et charcuterie tant qu’ils sont là. Ce qui prouve bien que je suis vraiment acceptée, puisque j’ai droit à des conversations beaucoup plus personnelles avec des gens que je ne connais absolument pas mais qui en savent beaucoup sur ma vie.

J’adore cette ambiance, un peu clochemerle quand même…j’essaie soigneusement de ne pas me retrouver par mégarde, au milieu de querelles ancestrales qui me dépassent. Cela dit, il est possible que je lance ma propre vendetta, sans le vouloir. Contre le plombier et son équipe, qui ont donc déjà deux semaines de retard dans le chantier. Comme tout le village suit les opérations, ça se sait, tout le monde m’en parle. Soyons clairs, ils sont tous avec moi. C’est bien simple, des gens que je ne connais toujours pas, prennent sur eux de venir m’informer qu’ils ont vivement déconseillé notre retardataire à des amis cherchant un plombier. Eux même ne risquent pas de passer par lui, tiens. Ils vont lui faire une réputation, ça ne rigole pas, on ne se moque pas comme ça impunément de quelqu’un du village. Si cette solidarité n’est pas un signe que je suis intégrée, je ne sais pas ce que c’est!