Le chantier


La maison du petit requin est en travaux. La maison du petit requin est travaux. On y croit, c’est la dernière ligne droite. Une fois que tous les virtuoses du marteau piqueur ouvriers auront fini, d’ici deux ou trois semaines j’espère, on arrêtera là. Il restera beaucoup (beaucoup, vraiment beaucoup) à faire, mais on s’en chargera nous-mêmes à part deux ou trois bricoles trop techniques. Ce n’est pas uniquement par économie, mais aussi pour ma santé mentale. Je n’en peux plus. Vous voyez une gare un jour de grand départ en vacances? Ben, c’est plus calme et moins bondé que notre chantier maison! Youpidoo.

Le chantier

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Ça commence avant le départ pour l’école. C’est gentil d’être aussi matinal et consciencieux, mais bon, j’aimerais prendre mon café plutôt sucré que plâtré…sans compter que c’est déjà pas facile de préparer Wizzboy le matin, alors quand il est excité parce que lui aussi, il veut jeter du ciment sur les murs, ça n’aide pas. On s’est décidé à faire rénover l’ancien cabinet médical avant l’hiver et son humidité (qui aggrave les choses), c’est à dire les pièces du fond qui étaient dans un état pire que le reste (ceux qui ont vu les photos de la cuisine ou de la salle de bain avant travaux comprendront). Ce sera une salle de bain. C’était aussi accueillant que la maison de Norman Bates, aussi riant que les reliefs d’une fête de zombies…bref, vu l’état, il a fallu faire tomber le plafond et son torchis. J’en ris encore. Et maintenant, ça fait des trous dans les murs de 70 centimètres d’épaisseur, ça perce, ça scie, ça soude, ça ponce… Un vrai bonheur auditif. Sans compter les cris mélodieux du carrelage qu’on découpe. On dirait Penny quand elle se coince la queue dans le portant à linge en attaquant surnoisement une chaussette qui la nargue. Je ne parle même pas de la tempête de sable torchis qui s’engouffre en continu dans la maison, où elle rejoint allègrement les nuages de poussière qui arrivent par l’autre côté. Je crains un cyclone au niveau de la porte d’entrée…Parce que le rez-de-chaussée est aussi squatté par un plaquiste qui refait des plafonds. On s’éclate. Il enlève les immondes plaques de polystyrène décoratives collées, que dis-je engluées sauvagement là par un précédent propriétaire qui ne voulait vraiment pas qu’elles tombent. Ça tient bien. C’est un problème, d’autant plus que comme c’est extrêmement inflammable, ça a contrarié notre assureur. Bref, les dalles doivent disparaître. De préférence avant l’hiver. Et après il faut enduire, poncer, enduire encore et reponcer …c’est bien simple tout le rez de chaussée est dans un brouillard permanent. C’est d’autant plus dangereux qu’on a dû déplacer et entasser n’importe où des meubles…ça y est, je suis encore rentrée dans l’armoire en voulant enjamber le fauteuil pour éviter de me prendre le coin du bahut dans les côtés en essayant d’atteindre la porte de la cuisine. Aïe.

Et voilà nos alpinistes qui arrivent déjà tout encordés! Si. Ils escaladent plusieurs fois par jour nos escaliers, en tapant joyeusement en mesure sur chaque marche, pour mieux salir mais en musique, avant d’atteindre le grenier pour y faire leur numéro de claquettes. Ils se jettent ensuite par le vasistas et font les équilibristes sur le toit qu’ils rénovent ( il faut que ce soit fait avant l’hiver et son humidité) à coup de de ciment et de résine odorante et bizarrement poussiéreuse. Ou alors, ils essaient juste de s’intégrer, de participer au brouillard ambiant en faisant comme leur petits copains en bas? En tout cas, ça les met de bonne humeur puisqu’ils chantent. Fort, très fort, mais il faut bien ça pour couvrir la radio des carreleurs et le marteau-piqueur à la cave. Figurez-vous que la maison du petit requin a été construite sur une source et que ni le notaire, ni l’agent immobilier, ni les vendeurs n’ont pris la peine de nous prévenir. C’est ballot. La source alimentait le bassin du petit requin (on a retrouvé les tuyaux) et permettait d’arroser tout le jardin. C’est très bien, sauf que si on ne s’en sert pas, elle finit par déborder. On avait bien vu une espèce de regard à la cave, mais on n’avait pas compris…comme on n’a pas l’intention de continuer l’élevage d’animaux marins carnivores dans le jardin, il faut installer, avant (vous allez rire) l’hiver et son humidité, une pompe moderne et tout son appareillage. Et donc faire des trous dans le sol de la cave. Au marteau-piqueur. Qui n’est pas du tout en harmonie avec les vocalises de celui qui perce les murs de l’ancienne salle d’attente. Ni de la radio qui s’époumone.

Je suis réfugiée dans le bureau, avec le frigo (pas celui de la cuisine, l’autre-on est 7- qu’on a casé là en attendant de récupérer l’accès à son habitat naturel). J’ai bien pensé à aller me balader, n’importe où dans un endroit plus calme que la maison du petit requin (je ne sais pas, une usine de moteurs d’avion, une flash mob d’amateurs de vuvuzuela, un concert de grosses caisses…) mais tous ces braves ouvriers mélomanes n’arrêtent pas de me harceler de questions. Voilà-y-il pas que je suis devenue chef de chantier, comme ça sans prévenir, à mon âge. Je cours partout, jongle avec les livreurs, les stocks de carrelages de la mauvaise taille et ceux de sacs de ciment qu’il faut entreposer là et non ici, et organise le flux continu d’ouvriers comme je peux, c’est à dire dans l’improvisation la plus totale et avec une migraine carabinée. Ça va aller. Rhaaaaa…