Le vin d’honneur municipal

Publié le 12 avril 2018 par Pomdepin @pom2pin

J’ai failli oublier de vous raconter, malgré les demandes. Il y a quelques semaines, on a reçu un carton d’invitation, avec une jolie photo de charrette (ça a l’air d’être l’emblème du village): le maire accueille les nouveaux habitants lors d’un vin d’honneur, pour faire connaissance. C’est génial, en Angleterre, on fait connaissance au pub avec une pinte, ici c’est avec du vin municipal. Ça nous a de suite enchanté. Pas pour le vin, pour le côté typique et franchouillard comme ce l’imaginent les bobos (j’ai appris un nouveau mot en français, je le replace!) anglais. Et nous aussi donc. C’est follement frenchie et boho (avec un h). On s’est empressé de retourner notre petite charrette invitation à la mairie, on y sera!

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Le grand soir est arrivé, on a prudemment laissé les enfants sous la garde de L’Ado, pas la peine de débarquer à 7, on va leur faire peur. On s’est demandé si il y avait beaucoup de nouveaux habitants, on avait un peu peur d’être les seuls et de devoir parler toute la soirée avec le maire. Heureusement, on était une petite vingtaine, certains avec enfants. On a pris place dans la salle des fêtes (oh, regarde, c’est mignon, il y a même une salle des fêtes…il faut vraiment que j’arrête de faire ma touriste anglaise bourge, je me tape sur les nerfs moi-même). Il avait deux grandes tables au fond. L’une avec le vin (mais aussi du jus d’orange), du saucisson à l’ail et la secrétaire de mairie qui trônait derrière (oh, regarde comme c’est typique…non mais sérieusement, je vais me calmer, oui? On dirait cette pintade amidonnée de SuperMum en vacances en France!). J’ai fayoté sous les regards noirs des autres nouveaux en allant lui dire bonjour. En plus, elle m’a glissé une enveloppe « j’ai déjà trouvé ça pour vous, vous regarderez ». Coups d’œil suspicieux des autres invités, qu’est-ce que c’est que ce trafic ? Sur l’autre table, il y avait des serviettes de toilette brodées. Si. Je me souviens, ma grand-mère avait gagné un lot comme ça déjà vieillot et démodé, il y a 35 ans dans une kermesse. C’est elle qui en avait fait don, c’était un vieux cadeau jamais ouvert tellement même-elle trouvait ça hideux. Ça nous a un peu surpris. C’est pour se laver les mains avant de dire bonjour au maire? C’est une coutume locale ? Une blague? C’est pour un bizutage? Non, c’est un cadeau de bienvenue. Haha.

Il y avait trois rangées de chaises administratives (en plastique orange et bancales, modèle scoliose intégrée). Maricheri était ravi en regardant l’assemblée…c’est très rural quand même. C’est sûr. On a commencé à échanger des blagues en anglais, pour ne pas nous faire remarquer. Ça n’a pas aidé. En même temps, vu les airs extrêmement pincés du couple à côté, ceux qui ont changé trois fois de place en se tordant le nez avant de daigner se poser avec nous, sans nous parler, on avait l’air positivement intégré. Le maire et la poignée de conseillers se sont plantés bien alignés et tout gênés devant nous, on a eu droit à une présentation du village (qui est totalement différent de celui d’à côté, qui est forcément très mal géré, de toute façon c’est pas des gens comme nous). La moyenne d’âge du conseil municipal est d’à peu près 75 ans (c’est la faute d’une intruse, une petite jeune qui doit à peine avoir la quarantaine et qui fait bêtement baisser les stats), le taux d’alcoolémie est plus élevé. La couperose flamboyante et la bedaine joufflue (ou vice versa) sont de rigueur, tout comme le grand sourire et les efforts sincères pour nous accueillir. Vraiment, ce n’est pas de ma faute, mais notre conseil municipal ne dépareillerait pas dans une pub pour touristes londoniens francophiles en mal de ruralité.

Comme on avait décidé de faire semblant d’être sociable, on n’est pas parti en courant quand le maire a invité tout le monde à se lever pour prendre un « verre de l’amitié », à la différence des deux outrés à côté. Comme quoi, on est peut-être d’affreux snobs, mais on est récupérable. On a pris un jus d’orange (chacun): ça a vivement perturbé la secrétaire de mairie. Si vous n’aimez pas ce vin rouge, on a du porto aussi…ça ira, merci. Nouveaux regard noirs, c’est qui ces gens qui ne boivent pas et parlent bizarre? Le maire, n’écoutant que son courage s’est avancé. Il a tenté une approche, ahah, la secrétaire a raison, vous parlez très bien français! C’est à dire qu’on est français…on s’est même déjà inscrit sur les listes électorales. Aaah, c’est très bien ça, et qu’est-ce que je peux faire pour vous? Vous voulez un Porto? En tout cas, on est content que vous rénoviez la maison du docteur. Vous saviez qu’il était maire aussi? Dans les années soixante…Le pauvre homme suait à grosses gouttes derrière sa bedaine et sa cravate marron à rayures oranges, celle qu’il avait achetée pour la communion de son neveu, celui qui vient de fêter ses 50 ans.

Pendant que j’étais hypnotisée par la cravate du maire, Maricheri a été parfait. C’est là qu’on voit que nos racines familiales ressortent. La landaise descendante de générations de bordelais très citadins était paumée au milieu de toute cette ruralité (je suis très peu agricole, je ne distingue pas un navet d’un cochon de lait), alors que le parisien aux origines charentaises (profondes) s’en est très bien sorti. J’étais très impressionnée, j’ai même appris comme ça que Maricheri a déjà conduit un tracteur, quand il était petit. Sur une vraie route. Ce qui devait sûrement être interdit, mais on ne va chipoter, on en voit passer tous les jours ici ma bonne dame mon bon maire. Rires de connivence et hop, Maricheri s’intègre. Il s’intègre même tellement qu’on a été bombardé traducteurs volontaires et municipaux pour les prochaines cérémonies du 11 novembre. Avec le centenaire ça ne rigole pas, le village reçoit une délégation d’outre Manche (il y a un cimetière militaire anglais sur la commune). Il faut juste traduire pendant la cérémonie. Et le défilé. Et le vin d’honneur (C’est une manie…). Et coordonner l’organisation avant, avec les associations d’anciens combattants anglais…on va s’éclater.

Épuisé par autant d’effort d’intégration intense (en fait, on n’est pas snob, on est timide), on s’est éclipsé sans parler aux autres nouveaux et sans notre cadeau de bienvenue. On a essayé d’être discret, jusqu’au grand au revoir de la secretaire, et vous me direz alors, quand vous aurez vu dans l’enveloppe? Cette charmante dame a retrouvé l’identité du propriétaire d’avant guerre, le premier docteur, celui du petit requin et du trésor, mais ce n’est pas lui qui a fait construire la maison, il était trop jeune en 1921. On progresse!