Le pis-aller


Il y a des gens qui viennent me lire et qui même me laissent des commentaires alors qu’ils détestent profondément ce que j’écris. Je n’ai jamais compris pourquoi ils s’obstinaient ni pourquoi ils éprouvaient le besoin de me le faire savoir alors que leur logorrhée verbale passe directement à la trappe. Je suis plutôt sympa, je laisse passer tous les commentaires, sauf ceux racistes ou injurieux, surtout quand ils s’en prennent aux autres commentateurs. Chez moi, on est poli avec mes amis ou on dégage. Mais mes billets sur le brexit provoquent toujours des tas de réactions variées, pour ne pas dire avariées. Je n’ai rien contre débattre avec des gens qui ne sont pas d’accord (y compris en anglais) mais ceux qui viennent juste déverser leur haine n’ont pas leur place ici. Cela dit, je trouve dommage que certains commentaires que je n’approuve pas (don’t feed the trolls et tout ça) restent sans réponse. Comme cet anonyme courageux (courageuse?) qui m’a accusée entre autres choses et après s’en être pris à tous mes lecteurs, de traiter la France de pis-aller. Ça mérite qu’on se penche sur sa prose, non?

Le pis-aller

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Alors déjà, je trouve l’expression toute mimi, légèrement désuète et avec un petit côté vache laitière qui me plaît beaucoup. Je suis sûre que j’ai déjà vexé Anonyme (c’est ce qu’il y avait marqué comme nom. Je critique, mais si ça se trouve, ce n’est pas de la lâcheté, c’est vraiment son nom. Monsieur Anonyme. Ou son prénom, madame Anonyme Dupont…). De toute façon Anonyme était outré bien avant ça, puisqu’il a bien remarqué mon mépris et celui de mes lecteurs pour la France. Ah. Déjà, j’ai dû mal à mépriser un pays, c’est un chouïa trop abstrait pour moi. Des gens comme ceux qui laissent des commentaires minables sur un petit blog, ça va j’arrive très bien à les mépriser, mais un pays tout entier je ne vois pas…il faut dire aussi que j’ai du mal avec le patriotisme, le nationaliste et tout ce genre de conneries concepts qui font des pays autre chose que des lieux, des entités géographiques plus ou moins arbitrairement définies. Du coup, je n’arrive pas vraiment à les personnifier suffisamment pour qu’ils m’inspirent des sentiments tels que ceux qu’Anonyme me prête. Mais il en est sûr, avant le brexit, je n’aimais pas la France. Nous y revoilà. Il y avait longtemps que je n’avais pas eu droit au poncif des expats traitres et déserteurs de la mère patrie. Je répète, il n’y a pas besoin d’habiter en France pour aimer la France. Anonyme, il cesse d’aimer ses proches quand ils déménagent à plus de 5 kilomètres? Il adore les rillettes quand il est dans la cuisine, mais dans son salon, il y devient allergique? Sérieusement, je ne veux pas te donner de leçon de patriotisme, mon petit Anonyme parce qu’effectivement, ce n’est pas du tout mon truc, mais si tu es incapable d’aimer la France quand tu pars en vacances en Espagne, si tu t’imagines qu’on ne peut pas être attaché à un endroit sans y vivre, tu n’as peut-être pas tout compris non plus à ce que tu prétends défendre.

Mais tu as des preuves de mon ignominie: avant le brexit, je trouvais l’Angleterre merveilleuse. Donc je détestais la France. Et ben, j’espère que tu n’as pas plusieurs gamins, sinon, l’ainé a du soucis à se faire. Vu que tu as l’air de penser qu’on ne peut pas aimer deux choses à la fois…tiens, une petite question, suivant ta logique comment font mes enfants binationaux? Ça y est, je sens que je t’ai collé une migraine. En tout cas, tu es bien content de ce qui arrive aux européens en brexitland, c’est bien fait pour eux, ils n’ont que ce qu’ils méritent ces traîtres. Ça fait chaud au cœur autant d’empathie, de compassion et d’ouverture d’esprit de la part de quelqu’un qui se permet de venir donner des leçons de morale. En même temps, quelqu’un capable de penser qu’un billet qui parle uniquement de brexitland est en fait une critique cachée de la France ne peut pas avoir la même vision des choses que moi. Je suis très basique comme fille, quand je parle en long et en large d’une chose, ce n’est pas parce que j’ai en fait envie de décrire complément une autre. Mais je fais pire. Bouh, la vilaine. Je traite donc la France de pis aller. Allons bon…

C’est fou quand même, j’aurais pensé au contraire flatter tes velléités de grand défenseur de la patrie en expliquant qu’on avait choisi de venir en France pour des raisons logiques, objectives et mûrement réfléchies. C’est plutôt un compliment, non? On avait une liste de trois pays, des critères très précis de ce qu’on cherchait et aucun sentimentalisme, et c’est la France qui a gagné. Mais ça t’a déplu. Tu aurais préféré qu’on « rentre » tout penaud en demandant pardon d’avoir osé mettre un orteil hors des frontières de notre pays de naissance. Ahah. Figure toi que je suis maintenant installée à près de 1000 km d’où j’ai passé mon enfance (c’est curieux qu’un grand patriote comme toi ne sache pas à quel point ton pays est étendu), sans famille ni connaissance et sans expérience de la vie quotidienne et administrative. Parce que j’ai pas mal évolué depuis 21 ans, je ne suis plus une étudiante, je n’ai plus la même vie, les mêmes préoccupations, les mêmes obligations, j’ai même pondu une famille nombreuse pendant tout ce temps! Et tu vas être surpris, mais la France a bien changé aussi. Comment veux tu que je « rentre »? Au contraire, je découvre, et non ce n’est pas un pis aller. C’est une nouvelle aventure pour notre famille et je te serais reconnaissante cher Anonyme, d’arrêter d’essayer de me la gâcher parce que tu ne la comprends pas.