The philosophical builder


Depuis jeudi, on vit dans la poussière et les courants d’air glaciaux (Littéralement, je suis persuadée d’avoir vu passer Penny avec des stalactites aux moustaches. Ou alors cette abrutie a essayé de bouffer du ciment, c’est possible aussi). On n’a plus de cuisine. C’est à dire qu’on avait une pièce sans four ni plaque, avec des placards préhistoriques et répugnants, maintenant on a juste un trou béant, sans plafond, sans sol, rien. On se nourrit grâce au micro onde et au cookeo branchés dans le salon, on mange dans des assiettes en carton, on fait la vaisselle dans la baignoire…et pourtant, ce n’est pas le pire. J’arriverais très bien à supporter tout ça (oui, bon faut pas pousser non plus, il ne s’agit pas que ça dure des mois) si il n’y avait pas en plus les conversations avec l’ouvrier en chef. Celui qui veut absolument me parler. Constamment. Et ce n’est pas réciproque. Attention, je précise de suite que ce brave homme est vraiment très gentil, dévoué, poli et extrêmement consciencieux. Je suis sûre qu’il nous fera une cuisine phénoménale. J’insiste, il est très bien. Depuis que j’ai découvert qu’il parle vaguement anglais, la communication est même un chouïa plus facile, enfin pas trop non plus. Il faut dire que j’ai de grosses lacunes en polonais ch’ti (et j’ai toujours autant de mal à parler français, ça n’aide pas du tout). Mais ce n’est pas le problème. Le problème, je devrais dire le grosse problèm, c’est que notre builder porte sur lui tous les malheurs du monde. Forcément, c’est épuisant.

The philosophical builder

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Ce pauvre type se pose des questions existentielles en continu et il tient à me les faire partager. Les conversations commencent toujours comme ça:

-Mââdam, moi avoir grosse problèm…

-et shit de m…euh, oui, qu’est-ce qu’il y a?

Bon, au départ effectivement entre les fausses cloisons, le conduit de cheminée dissimulé et la chape à refaire, il y avait bien des problèmes. Mais ce n’est pas une raison pour me demander mon opinion technique sur la chose. Soyons clairs, je n’en ai aucune. Le builder est aussi désespéré parce qu’on refuse de raser la maison et reconstruire entièrement. Alors que c’est vieux et pas toujours droit. Ce qui nous plait. Il n’y comprend plus rien. On sent qu’il ne dort plus la nuit, ça le mine totalement, voilà qu’on veut conserver le caractère de la maison au lieu de tout moderniser comme des gens civilisés. Mais Mââdam, ça tout vieux. Oui, et c’est très bien comme ça. Il ne dit pas ça pour avoir plus de boulot (visiblement, c’est plus cher pour nous de lui faire rénover plutôt que de construire à neuf), mais pour aider. Lui, il ferait autrement…L’architecte s’en est mêlé. Grosse problèm réglé, le builder suit les plans et garde ses idées décos modernes pour lui. Mais ça ne s’arrête pas là.

-Mââdam, moi avoir grosse problèm: il y aura un dénivelé d’un demi millimètre entre le sol de la cuisine et le carrelage de la salle à manger (je résume, il a déjà fallu 20 minute de considération philosophique sur l’histoire des carreaux depuis le paléolithique pour que j’arrive à comprendre de quoi il était question)

-ça ne me gêne pas.

-ah si Mââdam, ça grosse problèm!

-non vraiment, ce n’est pas grave…

Alors là, c’est carrément la fin du monde, j’ai peur que le pauvre type ne s’en remette jamais. Il a tenté, pour mon bien, avec des trémolos dans la voix de me faire comprendre que ce demi millimètre allait me gâcher la vie, détruire la civilisation, entraîner l’apocalypse et je n’ai rien voulu savoir. Alors qu’il essaie juste, par pur dévouement et malgré les atroces souffrances morales que mon aveuglement lui fait subir de sauver mon âme perdue. Game of throne à côté de la vie de notre builder, c’est du pipi de chat.

-on va aussi changer le sol de la salle à manger, on verra à ce moment là…

-noooooooo, ça pas possible, ça grosse problèm!

Il n’a pas rajouté vade rétro, mais c’était l’idée. Voilà que je passe du statut de victime à celui de démon et tortionnaire de carrelage. Mais ce brave homme ne m’en veut pas, il est juste tout dévoué à la cause et prend sur lui d’essayer de me ramener vers le droit chemin, la lumière salvatrice et le carrelage droit. A ce stade de la conversation, non seulement je suis épuisée, mais je commence à avoir de la peine pour lui tellement il a l’air de souffrir personnellement de mon manque d’intérêt. J’ai eu la présence d’esprit inattendue de lui expliquer qu’on voulait remettre un pas de porte en bois comme il y a dû en avoir un. Ça l’a calmé d’un coup. Le grosse problèm est résolu mais on est passé à côté d’une déflagration planétaire. C’est une très bonne idée, il la replacera. Je n’ai pas osé lui dire que c’était plus pour conserver le caractère de la maison que pour régler ses grosses probléms techniques, je n’ai pas voulu l’affoler.

J’ai cru que il allait repartir aider ses manœuvres à finir la chape, mais il y avait encore un grosse problèm. F*ck…euh, oui? Il doit installer au sol un câble électrique qui alimentera la plaque sur l’îlot (ça lui plaît, c’est très moderne). Ok…Et donc, il le met là, bien au milieu du futur îlot ou 2 centimètres plus loin, côté plaque? En sachant que ça ne change rien et que ça ne se verra pas. La position du câble, ça grosse problèm existentiel, lui explique à moi. Rhaa, je n’en peux plus…

Bref, je suis épuisée. Et ça ne fait que 4 jours que les travaux ont commencé. Je ne devrais pas me plaindre d’avoir un builder qui a une conscience professionnelle aussi développée qu’il se pose de grandes questions philosophiques à chaque étape et s’investit personnellement autant (en tout cas, sa santé mentale a l’air d’en souffrir énormément) mais j’en frémis d’avance en pensant qu’après la cuisine, il attaque le premier. Il a déjà repéré un grosse problem, avec le plafond d’origine de notre chambre qui n’est pas parfaitement lisse. Mais c’est du solide. Bon très bien, on va le laisser tranquille alors ce plafond. Mais mââdam…