04 Finlande – 66° 32′ 35′

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"Efforce toi de garder l'esprit ouvert aux possibilités et la bouche fermée aux sujets que 
tu ne maîtrise pas. Refrène tes 'toujours' et tes 'jamais'."
- Amy Poehler

La place principale du centre-ville, Lordi’s Square, a été rebaptisée en 2006 pour honorer la victoire à l’Eurovision du groupe de heavy metal éponyme dont les membres sont justement originaires de Rovaniemi. Ce matin le thermomètre fixé au mât affiche -2°C, mais le soleil est au rendez-vous. Tant mieux, car nous avons rendez-vous avec le Père Noël dans son fief hivernal.

Le « Grand Nord »

Tournant le dos aux tiédeurs de Lei, la veille, vis à vis de son ami Santa, nous suivons notre âme d’enfant et nous mettons en route pour Napapiiri, village du Père Noël. Il s’agit d’une étape importante pour nous puisqu’on s’était fixé comme objectif avant le voyage de dépasser ensemble, en fratrie soudée, l’axe légendaire du cercle polaire arctique.

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« Légendaire » c’est le mot. Son nom est sur toutes les lèvres, sur les enseignes des boutiques, sur le fronton des agences de tourisme et bien sûr dans tous les guides.

En consultant la carte on voit clairement cette ligne courbe colorée qui traverse une partie du globe avant de venir couper la Finlande juste au-dessus de la ville de Rovaniemi, marquant le début du « vrai Nord ». En revanche une fois sur place, plus rien. Plus rien si ce n’est cette gigantesque arche au-dessus de l’E75 qui rappelle vaguement l’allure d’un lampadaire renversé. Ah et puis aussi cette petite pancarte touristique à l’entrée de Napapiiri qui a sans doute été plus photographiée que Marion Cotillard lors de sa dernière montée des marches au Festival de Cannes.

Alors au fait pourquoi ? Pourquoi cette frontière immatérielle exerce-t-elle une telle attraction sur le cœur du voyageur ? D’où vient cette lubie de vouloir à tout prix dépasser une ligne imaginaire, qui n’existe que sur les cartes ?

En réalité la véritable frontière se trouve à l’intérieur de nous, c’est en tout cas comme ça que je le vois. Que nous la traversions aux coordonnées exactes indiquées par la carte n’importe donc finalement qu’assez peu. Heureusement d’ailleurs, car personne ne semble vraiment d’accord sur ces coordonnées. Le titre de ce chapitre n’en est qu’un exemple parmi d’autres.

Le fait est que l’être humain a besoin de symboles et de points de repères vers lesquels faire converger ses croyances et fantasmes. On retrouve cette nécessité quasi-systématiquement lorsque l’on s’intéresse à la religion par exemple. Qu’il s’agisse de représentations de déités, de reliques sacrées ou encore de lieux de pèlerinage. Seules les personnes les moins éduquées croient probablement que tel objet ou tel lieu possède réellement des vertus surnaturelles alors qu’en réalité ceux-ci sont souvent seulement des moyens servant à convoquer la part de surnaturel qui réside déjà en nous. Le cercle polaire arctique représente peut être donc à sa manière un « pèlerinage du voyageur » (il en existe d’autres): certains s’y rendent pour voir ce qu’ils vont y trouver et d’autres y vont pour trouver quelque chose qui est déjà en eux. Mais une fois sur place tous partagent ce même sentiment d’accomplissement qui réchauffe le cœur.

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Napapiiri

Arrivés sur l’esplanade principale, nous passons la ligne de marquage du cercle polaire arctique comme une formalité afin de rejoindre le comptoir postal du Père Noël de l’autre côté où nous pourrons faire tamponner de son sceau officiel le paquet de cartes postales destinées à nos proches. Nous assistons au passage à une scène cocasse: les chutes de neige récentes ayant complètement recouvert la ligne au sol indiquant l’axe du cercle arctique, nous voyons un couple de chinois creuser frénétiquement pour essayer de la faire réapparaître… en vain. L’un d’eux étale alors son écharpe rouge vif sur le sol pour matérialiser la frontière au-dessus de laquelle ils se prennent en photo.

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Au sortir du comptoir des postes, nous tombons sur Jean-Pierre et Chantal, un couple de français à l’accent fleuri. Ils tiennent tous les deux une adresse à la solide réputation en Lozère puisqu’ils officient notamment comme traiteur officiel pour le Festival International du Film de Vebron qui vise chaque année à rapprocher les grands noms du cinéma de leur public. D’une voix rauque et amicale Jean-Pierre nous parle de ses amitiés passées avec Galabru et Moustaki entre autres noms. Quand il apprend que je travaille dans l’industrie du film il me fait promettre de passer au festival un jour afin qu’il me présente aux organisateurs qu’il connaît bien. Qui a dit que les français étaient imbuvables en voyage ?

Outre les quelques boutiques étalant une quantité impressionnante de produits dérivés de Santa Claus, Rudolph le renne & co (et dans lesquelles nous retrouvons la piste de nos adorables Moomins) le site du Village du Père Noël n’a pas grand-chose à offrir.

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Un peu plus loin le spectacle d’un renne faisant machinalement le tour d’un manège harnaché à un traîneau rempli de bambins nous retourne le cœur. Son bois gauche a été scié, certainement pour limiter les risques d’accident avec la personne qui tient son mors. La pauvre bête  n’a pas l’air à sa place.

Nous préférons nous éloigner du cœur du village pour nous offrir une balade en forêt. Quelle sensation agréable ! Pas un bruit, si ce n’est les oiseaux qui gazouillent à la cime des arbres et le son réconfortant de la neige qui couine doucement sous nos semelles. Nous débouchons sur une clairière abritant une large cabane en bois. Ses occupants ne se sont visiblement pas manifestés depuis un moment vu l’épaisse couche de neige intacte qui recouvre les alentours. Quelques rayons de soleil se frayent un chemin à travers les branches de sapins et font scintiller la neige diamantine.

Soudain nous entendons au loin une triste complainte. Elle provient de la ferme à Huskies. Sur place, plusieurs dizaines de chiens sont parqués dans de petites cages où ils tournent en rond, aboient frénétiquement et s’agrippent aux barreaux debout sur leurs deux pattes arrières. Cette scène nous impressionne et nous met particulièrement mal à l’aise car ces aboiements ressemblent étrangement à des gémissements humains.

Plusieurs grosses pancartes fixées sur les grillages illustrent un appareil photo barré d’une croix rouge. On comprend pourquoi. Si ces chiens sont parqués dans de si petites cages c’est pour éviter qu’ils ne se fatiguent naturellement. En préservant leur énergie et en les maintenant ainsi dans un état d’excitation ils se montrent bien plus coopératifs lorsque, plusieurs fois par jour, on les tire de leur cage pour les atteler au traîneau sur lequel trône un touriste ventripotent tenant pour sceptre une perche à selfie et pour couronne un bonnet pointu rouge à pompon blanc.

Pour une trentaine d’euros celui-ci s’offre, quinze minutes durant, le rêve d’une vie immortalisé à grands coups de flashs avant de laisser les braves bêtes retourner à leur captivité. On se console en imaginant qu’il doit bien exister des fermes à huskies aux pratiques moins douteuses à travers le pays. Gagner de l’argent grâce aux animaux c’est une chose, mais faire des mauvais traitements un apanage ce n’est juste pas acceptable.

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Un heureux hasard

De retour à Rovaniemi, je dois trouver un nouvel hébergement. Naomi prend le train pour Helsinki dans quelques heures et nous libérons donc notre chambre double chez le pourtant très amical Lei. Nous nous arrêtons au Koti Hostel, un café branché qui paraît tout droit sorti d’un magazine IKEA, à ceci près que le hot-dog ketchup moutarde y a été remplacé par la salade d’asperges-quinoa accompagnée de matcha latte. Je m’avance vers une petite blonde affairée derrière sa machine à café, pour me renseigner sur les dortoirs disponibles:

  • Right now I can’t tell you, I am working at the cafe, you must wait for my colleague who manages the bookings.

Ah la rigueur nordique… à grands coups de plannings et d’organigrammes elle démontre son efficacité sans failles, mais lorsque l’imprévu souhaite s’inviter à sa table on lui demande de prendre rendez-vous et de repasser.

Puisqu’on est déjà sur place autant agrémenter l’attente d’un thé à la saveur exotique et au nom imprononçable accompagné d’une de ces petites parts de brownie aguicheuses que j’aperçois derrière la vitrine.

La guerre des petites cuillères fait cliqueter la porcelaine dans le brouhaha ambiant.

  • Are you Jesse?

Je suis surpris d’entendre mon prénom prononcé à haute voix, dans cet endroit où pourtant personne n’est censé me connaître, je me retourne pour répondre visuellement à la question du « qui ? ».

A deux tables de nous, un type en polo rouge se lève, sans nous quitter du regard et se fiche d’un grand sourire. Un nez aquilin surmonte son collier de barbe. Sa peau basanée laisse penser qu’il n’est pas un local et la courte tignasse noire qui émerge du haut de son crâne rasé, lui donnant au passage un air de guerrier mongol, fini de m’en convaincre.

Alors que je trifouille ma mémoire à la recherche du moindre indice je sens mes sourcils se froncer de plus en  plus en une grimace que mon interlocuteur comprend, je crois, immédiatement puisqu’il s’empresse d’aligner une série d’indices sur un ton d’évidence absolue:

  • I’m Ali! …Couchsurfing ..we talked two days ago …remember?

Mais oui bien sûr ! Ali le couchsurfeur qui n’avait pas pu nous héberger le jour de notre arrivée. La ville n’est pas très grande, mais quel hasard quand même de le rencontrer ici ! Je lui explique la situation, le départ de ma sœur ce soir et moi qui cherche un nouvel hébergement à quoi il me répond du tac au tac que je n’ai qu’à venir chez lui cette fois. Le fameux pote qui squattait le salon est toujours là, mais il affirme qu’il me trouvera une place d’ici ce soir. Finalement l’imprévu prévaut une fois de plus ! Je suis ravi de gagner une nuit d’hostel et un nouvel ami. A croire que ma bonne étoile (polaire) veille sur moi !

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Naomi

A la nuit tombée, tous les bâtiments se ressemblent. Les noctambules se retrouvent dans l’un des deux bars du centre-ville, tandis que la population déserte les rues. De temps en temps un réverbère croise notre chemin rompant de sa lumière jaune criarde la monotonie du noir et du gris. Bonsoir tristesse et mélancolie !

Le chemin très pittoresque nous fait contourner une bretelle d’autoroute avant de passer le long d’une station-service mal éclairée, puis après quelques dizaines de minutes nous atteignons l’entrée de la gare. On est un peu en avance, sur le quai Naomi trépigne d’impatience à l’idée de découvrir Helsinki. Je la comprends, pour ma part je devrais attendre encore deux jours avant d’atteindre la capitale. Sur les conseils de Lei, je décide de ne pas poursuivre plus au nord comme prévu initialement:

  • All you will find is more snow and more trees… in winter landscapes are all the same in Lapland.

La machine émets des sons grésillants avant d’expulser un ticket sur lequel je lis: « Rovaniemi – Tampere ». Départ le surlendemain à 05h55 pour Tampere, seconde agglomération du pays, coincée entre les lacs Pyhäjärvi et Näsijärvi à quelques 200km au nord-ouest d’Helsinki.

Une dernière accolade avec ma sœur et c’est l’heure de nous dire au revoir. La manœuvre d’assemblage des wagons terminée, les passagers commencent déjà à embarquer.

  • Et prend soin de toi !

Je lui hurle avant de la voir disparaître à bord, comme dans un sursaut d’instinct protecteur.

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