C’est où, chez moi ?

Publié le 05 juin 2017 par Jenny_myglobestory @jenny_myglobestory

Six ans qu'on ne vit plus en France. Six ans qu'on ne vit plus... chez nous. Mais sommes nous privés d'un chez nous pour autant? J'ai à un moment donné cru que oui. Et pourtant, pour la première fois en six ans d'expatriation, quelque chose d'étrange s'est produit...

Chez nous, c'est le monde

Jusqu'à maintenant, à chaque retour en France, nous disions que nous rentrions, comme si notre foyer était toujours en France, comme si finalement nous n'étions que de passage ailleurs dans le monde, juste en perpétuel passage. Ça n'est pas complètement faux, puisque nous n'avons nullement l'intention de nous installer tout le restant de notre vie au même endroit, donc nous ne sommes bien que de passage à chaque lieu où nous nous installons. Mais ce n'est pas complètement vrai non plus, puisqu'à chaque nouvel endroit, même si nous n'y restons pas une éternité, nous faisons plus que d'y être que de passage ; nous y construisons quelque chose, notre petite zone de confort.

Cette fois-ci, pour notre séjour en France d'avril 2017, quelque chose a changé dans notre façon d'appréhender les choses. Avant le voyage, nous ne disions plus que nous rentrions en France, nous disions que nous allions en France, comme nous l'aurions fait avec une destination de vacances. Et pendant le voyage, au lieu de dire que nous repartions en Australie, nous disions cette fois-ci que nous allions rentrer en Australie. J'insiste sur la nuance entre repartir et rentrer... On repart de chez soi pour aller ailleurs, et on rentre d'ailleurs pour aller chez soi. C'est ce que nous avons fait. Nous sommes rentrés chez nous, en Australie.

De ça, je ne m'en suis pas rendu compte avant ni pendant le séjour, même si je sentais bien que quelque chose était différent en moi. Nan. C'est au retour en Australie où ça m'a frappée et où j'ai pris conscience de tout ce qui avait changé dans nos discours et nos ressentis. Dès le passage de la douane, que nous avons passée pour la première fois en tant que résidents australiens, je me suis sentie chez moi. C'est en effet avec un sourire et un " how are you, mate? Welcome back ! " que les douaniers m'ont reçue... Je peux te dire que quand je reviens en France, ce n'est pas la même ; ils sont tendus les gars à la douane... ! Bref...
Nous avons ensuite pris le train jusqu'au centre ville, puis sommes montés dans le premier bus qui allait nous ramener... chez nous. Dans le bus, alors que nous passions le Harbour Bridge, je regardais par la fenêtre et avais cette vue unique sur l'Opera House et un bon bout de la baie éclairée par un doux soleil matinal. Et j'ai dit, la gorge serrée par des sanglots d'émotion (émotive, moi ?? mouahahahaha... que dalle! 😀 ) : " enfin chez nous." .
Il nous aura fallu partir d'ici pour nous rendre compte que nous avions bel et bien toujours un chez nous, ce " home sweet home " dans lequel on se sent si bien, et qu'on continuera de transférer avec nous au gré de nos expatriations...

Même s'il aura fallu attendre que nous soyons installés ici en Australie pour réaliser que nous avions bel et bien toujours un " chez nous ", ce changement de perception n'est pas lié au fait de vivre en Australie, mais plus au temps que nous avons passé en dehors de France. À chaque passage en France, nous nous sentons de moins en moins chez nous sur bien des aspects, tandis que nous sommes chaque jour plus à l'aise avec ce que nous vivons ailleurs. La France devient de moins en moins chez nous tandis que les endroits où nous vivons le deviennent de plus en plus. Et ce n'est qu'avec le recul que je me rends compte de ça, recul de 6 ans d'expatriation...

J'ai toujours eu un attachement particulier aux pays dans lesquels on vit, j'y laisse véritablement une partie de mon coeur, de mon esprit, et c'était encore plus vrai avec le Brésil, pays qui a littéralement kidnappé mon coeur. Chaque départ définitif d'un pays est un véritable déchirement pour moi. Et je crois que d'une certaine façon, Brésil, Portugal, et Canada étaient également devenus des " chez moi " sans que je ne m'en rende compte. Dans chacun de ces pays, j'y ai créé une zone de confort. Je suis familière avec la culture, la langue, les habitudes de chacun de ces endroits, et je m'y réadapte en un rien de temps. Je ne suis pas plus chez moi en Australie que je l'ai été au Brésil, au Portugal ou au Canada. J'ai juste compris que j'étais chez moi partout où nous posons nos valises pour un p'tit laps de temps...

Et la France, dans tout ça ?

La France, elle reste notre pays, notre patrie, elle reste ce chez nous auquel nous sommes pourtant devenus étrangers.

On y a nos familles, et une partie de nos amis. On y a notre passé, notre éducation, notre culture. En cela, la France restera à jamais un chez nous, celui vers lequel on se tourne en cas de coup dur, celui vers lequel on aura naturellement envie de revenir si un jour on se lassait de notre mode de vie, celui auquel on va pour se ressourcer.
En parallèle, on a aussi un autre passé, plus récent : celui de notre vie d'expatriés. On s'est familiarisés avec d'autres systèmes d'éducation, on s'est enrichis de nouvelles cultures, on a appris d'autres langues. Notre quotidien est ailleurs, et ce n'est pas sans un pincement au coeur que nous constatons à quel point il s'est éloigné de certains de nos proches (revoir mon article sur les coulisses de la distance ici...) de par les changements et enrichissements perpétuels qu'occasionne notre vie aux 4 coins du monde. On ne peut pas avoir le même quotidien et les mêmes préoccupations que quelqu'un qui a poursuivi la construction de sa vie en France. Pour autant, ça n'est pas mieux ou moins bien. C'est juste différent... Et ces différences contribuent au fait que nous nous sentions de moins en moins chez nous en France.

On connait les codes, les coutumes, les petits trucs propres à chaque région où nous passons. On sait s'y adapter à tout instant même si on n'est plus complètement familiers avec certaines choses, comme le langage des ados qui sonne comme un véritable charabia. Nous sommes devenus plus familiers avec les histoires consulaires de demandes de visa que l'utilisation de la carte Vitale, mais nous ne sommes experts dans aucun des deux sujets, nous nous sommes enrichis de la connaissance de l'un tandis qu'on perdait la connaissance de l'autre...

Au final, chaque recoin de ce monde où nous posons nos valises pour quelques temps devient un chez nous, tandis que la France le devient chaque fois un peu moins tout en le restant pour toujours. Nous ne sommes jamais vraiment partis de chez nous, nous avons juste créé d'autres chez nous, ailleurs.

Être chez soi partout sans appartenir à nulle part... Je crois que c'est ça, être citoyen du monde.

Par Jenny

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