The expat approach


Je l’ai déjà dit, Marichéri est un grand penseur. Il a plein de maximes désopilantes, telles que ‘ce n’est pas que je n’aime pas les gens, c’est que je n’en ai pas besoin’. Quand on l’oblige à participer à un meeting pour définir les bases du business, il balance très sérieusement qu’il faut revenir au point de départ, à savoir : we do stuff with people. Il en hurlait de rire intérieurement mais ça a eu un succès fou. Des consultants se penchent sur la question en ce moment même, on en fait des présentations…et Marichéri n’a même pas honte, au contraire puisque c’est un de ses meilleurs gags. Il passe pour un visionnaire. Bref, il a encore frappé ce week end. Mais plus en faisant une blague, il est très sérieux. Puisque les gens sont cons (une autre de ses pensées), on va vivre comme des expats. C’est une très bonne idée. 

The expat approach

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Alors évidemment pour les brexiteurs de base, un expat est forcément un britannique (ou encore mieux, un anglais) qui vit loin de la mère patrie par pure bonté d’âme pour apporter la civilisation aux malheureux sauvages qui peuplent tant bien que mal ces contrées reculées (la Dordogne, la Costa del Sol, l’Écosse…). Nous, on est juste des sales migrants. Pas des expats. C’est implacable. De l’autre côté, pour certains français, on est bien des expats, mais c’est généralement une insulte. Certes, campagne présidentielle oblige, tout à coup tout le monde nous adore, même des candidats qui voulaient nous taxer à 3000% (en sus des impôts qu’on paie ici bien sûr) parce qu’on n’est rien que des évadés fiscaux assoiffés d’or et traitres à la patrie. On pousse même la veulerie jusqu’à avoir des enfants binationaux, ce qui est le mal. Bref, comme ça à priori, je ne me sentais pas expat. Si vraiment vous insistez, je dirais immigrée pour les uns et émigrée pour les autres et puis voilà. Mais depuis le brexit, ce n’est pas facile à vivre. Surtout dans un comté où les deux tiers des électeurs ont voté pour le Brexit.  

Tous les jours, le gouvernement et mes chers voisins (pas juste le harceleur à côté, les gens à l’école, à la preschool…) répètent inlassablement de façon plus ou moins subtile qu’on n’est pas chez nous ici. Je me croyais intégrée (et fière de l’être), mais pas du tout, on est juste de sales migrants qui devraient être taxés à 3000% (c’est une manie…), à qui il faut couper les allocs (c’est à dire qu’on n’a jamais touché un penny, vous allez couper quoi?), et qui ne devraient plus avoir le droit de se faire soigner dans le NHS, chez le docteur ou à l’hôpital (en sachant que l’hôpital local est officiellement l’un des pire du pays, qu’il est considéré  comme dangereux et a été placé sous tutelle depuis deux ans), et j’en passe. Bref, on était à la jardinerie au milieu de gens, ce qui depuis plusieurs mois  me provoque des angoisses pas possibles (le supermarché, c’est encore pire), quand Marichéri m’a rassurée: 

-quand je les regarde, je ne peux pas m’empêcher de penser que statistiquement, plus de deux sur trois sont des connards de brexiteurs (Marichéri aime bien les stats, c’est une déformation professionnelle).

– toi aussi? C’est pour ça que je n’arrive plus à sortir…

-aucune problème, on n’a qu’à faire comme si on était des vrais expats. 

Ahaha. J’ai trouvé ça génial. Alors donc, puisqu’une certaine Angleterre ne veut plus qu’on se considère chez nous et pour lui faire plaisir on va adopter sa définition de l’expatriation. C’est facile, on a vu comment faisaient quelques anglais en Irlande. Ils venaient passer du temps aux colonies (je rappelle que la république d’Irlande est indépendante depuis bientôt un siècle, mais bon…) et observer les bons sauvages locaux avec dédain certes, mais aussi une certaine bienveillance paternaliste à vomir. Ils se gaussaient des mœurs primitives des indigènes. Ils vivaient entre eux, élevaient leurs enfants en les préparant à partir en Angleterre pour faire leurs études et en sachant qu’eux-mêmes ne resteraient pas plus que quelques années de toute façon. Attention, je ne critique pas les anglais, mais cette sorte d’expats, ce n’est pas une question de nationalité mais de mentalité. Une façon puante de se croire meilleur que le pays qui nous accueille et de tout critiquer systématiquement. J’en ai croisé des pelletées au Mexique, et ils étaient français. J’en connais quelqu’uns ici d’ailleurs. Alors certes, ça fait 21 ans qu’on fuit ces expats là, leurs façons de vivre et de penser me révulsent littéralement, mais il faut reconnaître que le brexit les affecte très peu émotionnellement parlant. Au contraire, ça les renforce dans leurs opinions et ils en sont très contents. Eux. Marichéri a raison, il y a une idée à creuser là… 

-non, mais je ne crois pas que tout soit mieux en France… 

-on s’en fiche, on fait semblant. C’est juste pour communiquer avec les gens qu’on connaît pas et arrêter de se prendre la tête.

 C’est sûr, si ça me permet de sortir de chez moi sans faire une crise d’angoisse à l’idée de croiser un brexiteur aggressif et de mener une vie à peu près normale, grâce à une nouvelle indifférence pour l’Angleterre remplaçant une adoration béate qui s’est fracassée en juin dernier, c’est à tenter. Et puis comme dit Marichéri statistiquement, vu où l’on vit  (je vous l’avais bien dit, c’est son truc), on a plus de chance d’avoir raison en prenant à priori les gens pour des connards de brexiters que des êtres charmants et ouverts. De tout facon, si on s’est trompé, il suffit de s’excuser platement, ce genre de personnes comprendra, alors que l’inverse n’est pas gagné. Bref, la logique de la chose m’a totalement convaincue, c’est juste que je ne vois absolument  pas comment je vais faire…ça ne me ressemble pas. C’est pas malin, tout ça à cause du brexit.