Aujourd’hui Lizzie a ratifié le brexit. Certes, elle aurait pu refuser mais en même temps, la dernière fois qu’un roi s’est rebellé comme ça, le parlement lui a fait couper la tête. On peut comprendre que Lizzie n’est pas fait sa maligne. En plus avec un mari migrant greco-danois, c’est pas le moment qu’elle se fasse remarquer. Déjà qu’elle-même n’est pas très nette non plus…enfin bref, j’étais donc d’humeur très peu réjouie quand je suis arrivée à la preschool et que je me suis retrouvée face à une trentaine de questionnaires bien étalés et visibles de tous sur une table. C’est purement administratif, il suffit de signer. Enfin, sauf pour moi, puisqu’il est demandé le pays de naissance, l’éthnicité et la nationalité de WizzBoy. Pour les autres, tous les autres (j’ai vérifié), ça a été rempli automatiquement par la secrétaire. Country of birth: England. Nationality: English (même pas britannique, et tant pis si il y a des écossais ou des gallois) et ethnicity: white British pour tout le monde. Sauf l’étranger avec son formulaire à part.
Ce n’est pas entièrement la faute de la preschool, ce sont des nouvelles directives du gouvernement qui a décidé de manière complètement illégale de ficher les enfants dans les écoles et les crèches. Mais il ne faut pas s’inquiéter, c’est confidentiel bien sûr. Bon après, si par hasard certaines fiches ont décidé toutes seules sur leurs petites jambes, de passer du ministère de l’éducation à celui de l’intérieur, ce n’est la responsabilité de personne. Elles ne pouvaient pas savoir, ces fiches qu’elles n’avaient pas le droit de faire ça. C’est un peu limité intellectuellement, une fiche et ça n’a pour ainsi dire aucune notion de la légalité. C’est d’ailleurs toujours une pure coïncidence si certaines familles non européennes dont les fiches se sont baladées comme ça de leur propre iniative, ont été déportées. Bref, le principe de la chose me fait déjà vomir en soi. Mais là, il faut reconnaître que la preschool a été créative. Soit on demande à tous, soit à personne. J’ai donc exigé calmement de parler à la responsable.
-Ah oui, vous n’avez qu’à compléter au stylo.
– Non. Pourquoi les autres fiches sont déjà complétées?
-C’est la faute de la secrétaire, elle ne connaît même pas les enfants, elle ne les a même jamais vu. Ahaha. (Rire gêné)
-et donc sans les avoir vu, elle sait qu’ils sont white british? C’est très fort, elle a d’autres talents comme ça?
-hum, oui, mais non, humpfff…elle a fait avec les birth certificates …vous voyez? Hummmfp.
-je vois très bien surtout que j’ai moi aussi donné le birth certificate britannique de mon fils né ici. Je peux savoir pourquoi justement celui-là, elle n’a pas réussi à le lire?
Ce n’est qu’un tout petit détail, un petit rien que je n’aurais pas remarqué avant juin. Mais dans le climat actuel, c’est révélateur du « hostile environment » mis en place par le gouvernement et l’administration à l’encontre des étrangers (je ne plaisante pas, c’est le terme officiel). Chaque jour amène son lot de petites vexations, de remarques presque innocentes, de réflexions à peine susurrées, de barrières presque imperceptibles dressées contre nous. C’est insidieux mais tenace. Vicieux et méticuleux. Un goutte à goutte précis et déterminé. Il faut qu’on arrive à comprendre qu’on est juste des étrangers. On n’est pas chez nous. Mais le gouvernement britannique est poli et sait se tenir, pas de décret intempestif ici, on n’est pas chez Trump, juste une érosion systématique et têtue de nos conditions de vie. Sauf qu’il y a encore des lois, même si le gouvernement s’assoit dessus. Quelqu’un a dû le rappeler à la responsable de la preschool puisqu’elle m’attendait pour se confondre en excuses tout à l’heure. C’est tout le parish council (qui gère la preschool) qui est désolé, c’est un horrible malentendu, une bourde malencontreuse de la secrétaire, ils vont revoir toutes leurs procédures…ils seront aussi ravis de me recevoir lundi officiellement, si je veux bien venir, pour clore cet incident déplorable. Ben voyons.
Depuis le 24 juin, je sais que quelques soient tous mes efforts, je ne serai jamais considérée comme intégrée. Pourtant je me pensais plus britannique culturellement que française. Je ris à pleurer de l’humour anglais alors que je ne comprends pas toujours le français. J’adore faire la queue sans empiéter sur le personal space des autres, je suis désolée et je présente mes plus plates excuses quand quelqu’un me marche sur les pieds. Je suis affreusement coincée en public. En privé aussi parfois. Ce qui ne m’empêche pas de faire preuve d’une certaine excentricité par moment, notamment vestimentaire pour la plus grande honte de PrincesseDiva. Mais non, je suis juste une étrangère, et puis c’est tout. Sérieusement, moi qui n’en avais rien à faire de ma nationalité, je ne me suis jamais sentie aussi française, parce que c’est maintenant l’image qu’on me renvoie constamment. Alors si ça peut aider, pour faire plaisir, allons-y. Je veux bien faire ma française. Et c’est bien connu ici, les français sont colériques, arrogants, têtus, de mauvaise foi, contestataires, limite révolutionnaires et par dessus tout râleurs. Absolument…et vous n’avez encore rien vu!