Je ne sais pas si vous avez remarqué mais depuis plusieurs mois, j’ai du mal à m’enthousiasmer pour la vie en Angleterre alors qu’avant je m’extasiais sur tout. J’adorais ma vie ici. Je l’avais choisie et j’en étais très contente. Jusqu’au 23 juin dernier, je vivais volontairement en Angleterre et dans la joie. Depuis le 24 juin, je suis devenue une sale migrante européenne. Non seulement la moitié de la population ne nous veut pas ici, mais le gouvernement est officiellement raciste et fait tout pour nous pourrir la vie. Chaque jour amène son nouveau lot de vexations anti ressortissants européens. Ce n’est plus le pays que j’ai choisi et aimé. Malheureusement, on ne peut pas embarquer comme ça nos 5 enfants (britanniques de culture), le boulot de Marichéri et notre maison sous le bras et aller voir ailleurs. Bref, depuis le 24 juin je vis dans un pays que je n’apprécie plus du tout et par obligation. J’en suis très mécontente. On peut même aller jusqu’à dire que ça me porte un chouïa sur le moral. Et puis parfois juste quelques instants, de façon totalement impromptue, mon ancienne joie de vivre (oui bon on se comprend, je n’ai jamais été particulièrement guillerette non plus) refait surface. Ça n’arrive pas si souvent alors quand un tout petit rien me rappelle mon Angleterre perdue, j’apprécie!
(La photo date du printemps dernier. C’est plus pimpant qu’aujourd’hui, il fait gris et il n’y a pas une fleur)
Alors donc je rentrais de la preschool avec WizzBoy tout à l’heure. Elle est derrière l’église du village, qui est absolument adorable et pas du tout dans le village mais à l’écart en rase campagne (et en face de chez nous, mais à travers champs). On passe par une toute petite route, entre deux champs dont l’un accueille un cheval sympathique. Au bout de la petite route, il y a aussi la maison du vicaire, à coté de l’église. C’est charmant comme tout et ça m’a ravi pendant longtemps. Tout à l’heure, on a vu arriver en face de nous une petite mamie qui avançait en bringuebalant, chargée d’un gros sac visiblement très lourd. Juste quand on s’est croisé une voiture s’est arrêtée. C’était le vicaire avec son col rigolo. Il a salué la vieille dame par son nom (précision importante pour la suite, de tout évidence, il la connaît). Comme je le vois presque tous les matins avec WizzBoy (ce type est un fan de jardinage, par n’importe quel temps, il patauge dans ses plate-bandes à côté de la preschool), il m’a dit bonjour aussi. Puis il a proposé à la mamie de la déposer. WizzBoy et moi étions plantés sur le talus, face à elle.
Elle a pris un air outré, et a répondu en hurlant: ah non alors certainement pas! Et paf, elle a sauté dans le fossé, avec son sac, aussi agilement qu’elle le pouvait. Elle est partie en clopinant mais à toute vitesse dans le champs, en grommelant des insultes sous les yeux ébahis de ce pauvre vicaire et moi (WizzBoy s’en fichait, il faisait la voiture de courses immobile). On s’est regardé, bouche bée tous les deux, le vicaire n’arrivant pas à se remettre :
-mais qu’est-ce que j’ai dit?
-euh…je sais pas…vous la connaissez bien?
-oui, c’est une paroissienne. Mais qu’est-ce que j’ai dit?!?
On s’est tourné vers le champs. Juste à temps pour voir la petit vieille et son sac ressortir en passant encore dans le fossé, c’est fou, cette souplesse pour quelqu’un qui a l’air d’avoir 120 ans! Elle était couverte de boue mais ça ne l’a pas arrêté. On était tellement surpris qu’on l’a regardé continuer et tourner le coin de l’église sans réagir, le vicaire dans sa voiture, les yeux ronds et moi sur le talus.
-il faudrait que je la rattrape, non?
-ça serait mieux, oui.
-mais si elle réagit bizarrement encore?
– si j’y vais, ça risque d’être pire, elle ne me connaît pas.
-oui…bon, ben…j’y vais alors. Merci pour tout.
Voilà. Ce pauvre vicaire était tout secoué. La prochaine fois que je le croise, je lui demanderai des nouvelles de la dame. Mais j’étais ravie! Je sais bien qu’une pauvre femme qui n’a plus toute sa tête, on peut en croiser partout. Mais là, sur le talus, à discuter avec le vicaire éberlué so British, j’étais chez moi, dans mon village, avec ses excentriques. Dans mon Angleterre que j’adore et qui ressemble à un épisode du vicar of Dibley. L’espace d’un instant, je n’étais plus une sale migrante européenne qui n’avait rien à faire là. Au contraire, voilà que ce malheureux vicaire me demande conseil… C’est difficile à expliquer mais j’étais encore hilare en pensant à la petite vieille sautant le fossé et insultant ce pauvre homme en rentrant à la maison. Et puis j’ai regardé les infos.