Voyage, sevrage, détachement

Un matin comme tous les autres, j’embarque dans le métro avec un récit d’aventure d’Alexandra David-Néel sous le bras (j’aime beaucoup cette exploratrice passionnée toujours en immersion dans les pays et cultures qu’elle rencontre donnant naissance à des récits de voyage très bien documentés). Comme souvent à la lecture de ce genre de livres, sur la route du boulot, mes pensées se mettent à errer autour de différents sujets…

Quand je vois à quel point le fait de voyager est devenu populaire au sein de ma génération, j’ai du mal à m’imaginer cette réalité il y a encore quelques dizaines d’années où un voyageur pouvait bénéficier de ce statut de super-héros aventurier, voire d’alien, ramenant des contrées lointaines qu’il avait visité toutes ces reliques et anecdotes incroyables semblant appartenir à un autre monde.

Aujourd’hui tout le monde voyage. Le voyageur est la norme, le non-voyageur l’exception. A tel point qu’il devient extrêmement rare de ne pas partager son petit coin de paradis en voyage à l’autre bout du monde avec des dizaines d’autres personnes aspirant à l’exotisme et à l’aventure.

Un sublime coucher de soleil partagé en petit comité cette fois...

HOMO OBTUSUS

Bien que j’aimerais parfois pouvoir profiter égoïstement de ce coucher de soleil sur une plage paradisiaque et voir les principaux lieux touristiques un peu moins fréquentés, je dois reconnaître que quelque chose me plaît dans cet engouement général pour le voyage. Car au fond voyager c’est apprendre. Et vouloir voyager c’est donc vouloir apprendre, progresser, construire.

Je souris en constatant que de plus en plus de voyageurs font un pied de nez à tous ces media qui se veulent la prétention de « nous montrer notre planète » par des images choc allègrement arrosées d’idées préconçues, pour se confronter par eux-même à la réalité de cet autre bout du monde. Face à cette recrudescence de voyageurs, je nourris secrètement l’espoir que ma génération (et les suivantes!) va enfin parvenir à inverser le courant et que nous seront peut-être les témoins de l’état d’extinction de cette espèce encore trop répandue qu’est « l’homo obtusus ». Celle qui a des théories sur tout, sait tout, sans n’avoir jamais exploré plus que le bout de son canapé.

Bon je sais… Je sais au fond de moi que ce n’est pas réaliste. Que certains n’ont par flemme pas l’envie de faire la chasse aux idées obtues qui sont en eux et ce même parfois après avoir voyagé. D’ailleurs précisons que le voyageur n’est pas meilleur qu’un autre. Bien souvent il s’expose au syndrome du donneur de leçons qui ayant « fait ce pays là, sait comment ça se passe là bas, ce qu’ils mangent, ce qu’ils pensent, ce qu’ils sont ». Le risque est bel et bien réel, après avoir voyagé, que nous devenions à notre tour un media faisant passer notre idée du monde plutôt qu’encourager d’autres voyageurs à aller établir la leur.

Tout cela dit, à défaut de rendre moins con, je pense que le voyage nous rend en tout cas plus vrais. Envers nous-même d’abord, mais aussi envers les autres. Comme un sevrage, voyager représente pour moi l’occasion de gratter au fond de ma personnalité cette couche de superficialité qui me donne parfois l’impression d’être un étranger pour moi-même. Pour le « vrai » moi. Entre autres, ce besoin de confort acquis au fil des années dont il est devenu difficile de se passer. Un besoin qui tient pourtant mon bonheur captif.

En se recentrant sur l’essentiel c’est une vie plus simple qui se dévoile, une vie où le bonheur naît dans les petites choses qui font notre quotidien. C’est ce genre d’attitude que je m’efforce de rechercher.

LE BONHEUR D’ÊTRE SOI-MÊME AUX COMMANDES

Chez moi, installé dans une grande ville – avec tout le confort que cela implique – travaillant pour un grand groupe – avec tous les avantages que cela implique – j’ai régulièrement l’impression que ma vie routinière me prive de mon vrai potentiel. On a tôt fait de s’habituer aux allées-venues en métro, 5 jours de travail pour 2 jours d’euphorie, 4 fois par mois pour pouvoir s’offrir le luxe de dormir chaque nuit sous un (même) toit. Peu de place laissée à l’imprévu. Peu de place laissée à l’aventure. Là, dans ce wagon de métro, entouré de dizaines d’inconnus, je me laisse bercer par le ressac du train, anesthésié par le confort de la routine.

Alors, quand je voyage, je cherche par tous les moyens à faire éclater cette bulle de confort. A ne surtout pas ménager mes sens. Au contraire il faut les stimuler un maximum, les faire sortir de cette torpeur, jusqu’à ce que, soudain, un sentiment d’extrême euphorie m’envahisse. Ce qu’il représente ? La liberté. Moi reprenant enfin manuellement le contrôle de ma vie. Confort ? Stabilité ? Ces deux notions sont tellement relatives à l’heure où nous vivons que la satisfaction qu’elles procurent est finalement assez superficielle. Vraiment rien ne vaut le bonheur d’être soi-même aux commandes de sa vie à chaque instant !

Je vois aussi le voyage comme une chance. Une chance de se pousser au détachement. Une chance de ne pas nécessairement céder en faveur de la simplicité. Une chance de se confronter à l’épreuve, au manque, à l’incertitude. Oui clairement une chance d’en chier un maximum ! Si je suis fou ? Hmm peut-être… Je parle de chance car une fois passé le cap de la difficulté, du manque et de la confusion: vous êtes sevrés ! Et alors commence une nouvelle vie. De retour au bercail après vos longues pérégrinations, vous vous sentez rempli d’une immense sensation de bien-être, une impression de connaissance de soi sans pareil. Vous réalisez pleinement la chance que vous avez d’être là où vous êtes au moment où vous y êtes. Vous puisez le bonheur dans les choses les plus simples et anodines que la vie a à offrir.

Souvent la routine nous fait oublier la vraie valeur d’une vie. Notre vie. Voyager est alors simplement le meilleur moyen de s’en rappeler, de nous reconnecter à la simplicité, au vrai nous, celui qui fait fi de tout le superflu.

Voyage, sevrage, détachement