01 Inde – Pour quelques milligrammes d’encre

Publié le 19 juin 2016 par Jesse Eat World
" En Inde beaucoup de gens se perdent [...] c'est
un pays qui est fait exprès pour cela. "
- ANTONIO TABUCCHI

18 mars 2016, 10h30 - Mon interlocuteur me dévisage.

" Your first time in India and you did not book hotel, no address, nothing? "

Je me vois difficilement convaincre l'officier des douanes en lui expliquant que je compte en réalité sur l'hospitalité des locaux que je rencontrerai sur mon chemin, que je n'ai pas l'intention de planifier tout mon séjour et n'ai, par conséquent, aucune idée de l'endroit où je vais dormir ce soir. En réalité je ne suis même pas sûr de vouloir rester à Delhi ... Je me laisse la journée pour tâter le terrain, voir si je m'y plais. Le cas échéant il me suffira de déguerpir par le premier train venu.

Pour faire bonne figure je me contente de lui raconter que ça m'est complètement sorti de la tête, mais que je compte me mettre à la recherche d'un hôtel dès ma sortie de l'aéroport.

Il n'a pas l'air convaincu et esquisse un sourire narquois, comme pour dire: " eh vous ne seriez pas en train de vous payer ma tête par hasard ? ", puis il se tourne vers son supérieur à qui il s'adresse en Hindi.

Petit pincement au cœur, ma stratégie était-elle bien la bonne ?

Il me dévisage à nouveau pendant quelques secondes puis haussant les épaules appose machinalement son tampon sur la page de mon passeport.

" Welcome to India! "

Je souris en regardant ces quelques milligrammes d'encre sur le papier. Ils me donnent le droit d'explorer ce nouveau territoire à ma guise pour une trentaine de jours, mais pas plus. L'aventure peut enfin commencer.

Couchsurfing 1, moi 0

J'ai rendez-vous avec Ravi, un couchsurfeur avec qui j'ai discuté avant mon départ. Il s'est dévoué pour me faire découvrir sa ville, Dehli, et me présenter à ses amis. Je profite du wifi de l'aéroport pour le contacter et lui indiquer où nous retrouver. Mais pas de réponse. Il m'attend quelque part de l'autre côté des portes, mais comment le reconnaître parmi la foule d'Indiens qui se pressent à la sortie pour accueillir leurs proches ? J'ai bien envie de partir à sa recherche, le problème c'est que je n'aurais plus accès au wifi une fois sorti et que l'aéroport est conçu de façon à rendre toute sortie des voyageurs définitive. Je zone encore un peu dans le terminal 3 de l'immense Indira Ghandi Airport, puis, resté sans réponse de mon couchsurfeur, finis par me résoudre à rejoindre seul le centre de Delhi.

Nous discuterons plus tard dans l'après-midi et il m'expliquera alors n'avoir pas reçu mes messages immédiatement, il m'attendait pourtant bien quelque part à l'extérieur du terminal. Un peu honteux de cet échec, je m'excuse et lui propose que nous nous rencontrions au moment où je repasserai par Dehli avant mon vol retour. Première expérience en couchsurfing ratée... mais je reste décidé à utiliser cet incroyable outil de rencontre entre voyageurs et locaux pendant mon séjour.

Premières impressions d'Inde

Dehors le soleil cogne comme un flic tombé sur un violeur de petits garçons. Le mythe des bruits incessants de klaxons, pouet-pouets et cornemuses en tous genres n'est plus un mythe, mais bien une réalité. Je n'ai jamais vu de circulation aussi chaotique. Un rickshaw qui au dernier moment coupe la route à une voiture, un camion dont le chauffeur pèse de tout son poids sur le klaxon face à une calèche surchargée menée par... un âne. Et des motos, énormément de motos qui, par essaims entiers, se faufilent dans chacune des brèches laissées par le trafic routier. Premières impressions d' Inde. Je pensais décrire mon arrivée de façon héroïque avec une phrase du style " Là, au milieu de ce chaos, je me sens vivant ". La vérité c'est que je me sens assaillit de toutes parts, en perte totale de repères. Ce chaos ambiant que m'offre le spectacle de la circulation Delhiite me fait immédiatement redescendre sur Terre et me remet à ma place: celle d'une minuscule fourmi tombée en plein Océan.

Mon premier contact avec la population locale ne me ravira pas davantage, le comportement de mon chauffeur de rickshaw m'exaspère: désirant me rendre à l'office du tourisme, j'ai pris soin de noter l'adresse exacte que je lui met sous le nez pour être sûr qu'il comprenne bien l'endroit où je veux me rendre. Seulement, comme c'est le cas pour beaucoup d'étrangers fraîchement arrivés à Delhi, mon chauffeur décide de " me faire visiter " plusieurs agences de voyage qui se font, comme par hasard, appeler " office de tourisme " mais ne sont en réalité que des adresses non-officielles (une arnaque bien connue, dans laquelle le chauffeur est de mèche avec le patron de l'agence - qui applique d'ailleurs des tarifs complètement déconnectés de la réalité - et dans laquelle ce dernier paye au premier une gentille commission pour chaque étranger naïf qui lui est amené). Quand un étudiant me répond qu'il va monter avec moi pour s'assurer que le rickshaw me dépose bien à la bonne adresse je me sens soulagé. Tout cela pour me rendre compte quelques minutes plus tard à force de questionnements qu'il m'a menti lui aussi et ne compte absolument pas m'aider à trouver l'endroit que je cherche. A bout de patience je quitte mon rickshaw en pleine rue sans demander mon reste. A partir de maintenant je me débrouille seul !

Agacé par ces échecs successifs, je décide de quitter Delhi aujourd'hui.

En route !

Aussi regrettable que ce soit, la méfiance est souvent de rigueur pour le voyageur qui met pied à terre dans un endroit qu'il ne connaît pas. Regrettable puisque cette attitude pousse aussi à passer à côté de certaines belles rencontres. Des rencontres authentiques j'entends, sans arrière pensée et pleines de bienveillance, de celles qui enrichissent l'âme.

Il s'agit alors souvent de se laisser le temps de l'observation lorsque l'on met les pieds dans un nouveau pays. Le temps de trouver un équilibre entre trop peu de méfiance et pas assez d'ouverture, de sourires et de politesse. Ce n'est pas facile, mais ô combien nécessaire afin de ne pas se braquer systématiquement et par extension se priver de la richesse et de l'intensité des rencontres, si particulières, que l'on expérimente en voyage.

Sous ses faux airs de casino flambant neuf, aux gigantesques colonnes blanches éclatantes, la gare centrale de Delhi abrite une faune des plus... particulières. Au milieu d'une pagaille organisée circulent vendeurs ambulants en tous genres et mendiants. Des rats de la taille d'un avant-bras se faufilent au milieu de familles en train de pique-niquer à même le quai. Enfin les âmes les plus bucoliques apprécieront sans doute la présence de vaches qui, en qualité d'animaux sacrés, ont décidé d'élire domicile dans la plupart des gares indiennes, où elles se nourrissent de restes que les voyageurs veulent bien leur laisser.

Ce spectacle des plus inattendus me laisse sur un mélange d'admiration, de dégoût et d'amusement. Je reste là quelques instants à sourire bêtement puis poursuis ma route. J'ai, contre toute attente, réussi à trouver un train de nuit pour Lucknow, où je rejoindrais Thap's, mon prochain couchsurfeur. L'occasion, je l'espère, de repartir sur de bonnes bases après les déconvenues du jour.

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