Okuno-in, dernière résidence de deux-cent-mille moines

Nous sommes à Koya-san, un vieux village caché dans les montagnes de la préfecture de Wakayama, au Japon. Dans cette forêt ancestrale se trouve un lieu isolé, caché sous des arbres plusieurs fois centenaires, un lieu sacré du culte shintō, objet de multiples pèlerinages. Ici, sous les arbres, reposent les corps de près de deux-cent-mille moines depuis près de mille-cinq-cents ans, attendant paisiblement la résurrection du Bouddha. C’est un lieu de toute beauté, où les vivants viennent rejoindre les morts dans une communion avec la nature ; certains le trouvent effrayant, d’autres viennent ici admirer les statues recouvertes de mousse et de morceaux de tissus qu’on appelle Jizō bosatsu (地蔵菩薩), dont la vocation est d’aider les âmes perdues à retrouver leur salut. Les étoffes confectionnés comme des bavoirs pour enfants sont autant de protections contre le froid et les agressions de l’extérieur. Jizō bosatsu n’est ni un dieu, ni un Bouddha, mais plutôt un saint dans un corps d’enfant, un bodhisattva. C’est une croyance directement issue de l’Inde, protégeant les enfants et les voyageurs, mais plus largement les âmes de chacun et en l’occurrence, celle des moines, dont le nom originel est Kshitigarbha. Sa présence ici n’est pas anodine ; le terme sankrit signifie « matrice de la terre », et son but est de guider les âmes pendant la période de souffrance allant du Parinirvāṇa à l’arrivée du Bouddha réincarné (Maitreya) qui adviendra lorsque l’enseignement du Bouddha Shakyamuni (Dharma) aura disparu sur Terre. C’est pour cette raison que les moines reposent ici et qu’ils sont protégés par ces statues auxquelles on voue un culte si respectueux. Les petites statues sont fardés de rouge ou de rose sur les joues, et portent parfois des bonnets ; ce sont comme de petits enfants dont on prend soin.

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Photo © Karolina Lubryczynska

Koya-san n’est pas qu’un simple lieu de pèlerinage, c’est l’épicentre d’une forme ancestrale de bouddhisme tantrique (vajrayāna) et ésotérique, le Shingon (眞言), dont l’enseignement se nomme mikkyō (密教), véhicule des secrets ou tantrisme de la main droite (sans pratiques sexuelles).

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Photo © Mitch Huang

Lieu minéral par excellence, rempli de stèles mangées par la mousse, de lanternes censées apporter lumière et réconfort dans le monde des apparences, lieu de recueillement devant la quantité d’âmes qui reposent ici dans l’espoir d’une nouvelle ère, lieu où la pierre se confond avec la profonde force tellurique qui se dégage de l’espace, le cimetière d’Okunoin est une des étapes du Kōyasan chōishi-michi (高野山町石道), inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco dans l’ensemble des Sites sacrés et chemins de pèlerinage dans les monts Kii. Le mont Kōya (高野山) lui-même est le centre de rayonnement du Shingon, insufflé par le moine Kūkai (空海, VIIIè-IXè siècle), comportant dans son extension pas moins de 117 temples.

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Photo © Mitch Huang

Photo d’en-tête © Al Case