Tanger, c’est danger ?

Publié le 29 mars 2016 par Uneautreasie @damiiis

La formule est connue des marchands des souks et des nombreux guides marocains: " Marrakech, arnakech ; Agadir, y'a rien à dire ; Essaouira, ca ira ; Tanger, c'est danger ". Face au détroit de Gibraltar, à quelques brasses de la côte espagnole, la réputation de Tanger n'est plus à faire: sa légende la précède et les histoires de trafics sont ici aussi banales que les pipes de kif.

La médina

Comme la plupart des grandes viles du Maroc, Tanger possède sa médina. C'est ici que bat le coeur de Tanger l'éternelle, ville internationale par excellence à la sortie de la deuxième guerre mondiale, lieu où " Cosmopolite, certains disent de Tanger qu'elle est une putain. se rencontrent les voyageurs de toutes les terres " comme l'écrit Joseph Kessel dans
On passe devant le Café central où s'échouait l'écrivain William Burroughs. Il a écrit Le Festin Nu à Tanger, à quelques pas de là, dans sa chambre de l'hôtel El Muniria. On trouve un peu plus loin le Café baba, qui porte bien son nom. Les Rolling Stones et autres y sont passés. Ici, en plus de l'odeur du traditionnel thé à la menthe, se dégage dans l'air une odeur de cigarette un peu spéciale... On se fait interpeller pour savoir si l'on souhaite acheter du " chocolat " ou se faire " bronzer la tête " un peu partout. On sent que les montagnes du Rif ne sont pas loin. Au Grand Socco. C'est dans ce dédale de ruelles labyrinthiques et de murs bleus que poètes, musiciens, peintres et écrivains du monde entier ont trouvé l'inspiration, autour du Petit Socco. Au détour des allées, on se fait invariablement aborder en arabe, en espagnol et en français.

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Tanger : place des grands Hommes

En plus des Rolling Stones, dans ces rues, lors des glorieuses années du statut international de Tanger (1925-1956) - ou juste après - c'est toute la Beat Generation et toute une flopée d'écrivains qui traînait: William Burroughs, je l'ai déjà dit, mais aussi Allen Ginsberg, Jack Kerouac, Paul Bowles, Jean Genet, Truman Capote, Tennessee Williams, St Exupéry, Pierre Loti, Joseph Kessel, Marguerite Yourcenar, et tant d'autres. Oui, rien que ça.

Aussi comment parler de Tanger sans parler d'Ibn Battuta ? Sa trace se retrouve partout dans la ville: en plus d'une rue Ibn Battuta, l'aéroport et le stade de la ville portent également son nom. Explorateur et voyageur, les routards ont certainement trouvé un maître en sa personne. Entre 1325 et 1349, il parcourt la plus grande distance (presque 120 000 km) jamais couverte avant Magellan - soit deux siècles plus tard... - en couvrant 44 pays !

La Kasbah et le port

Au Nord de la médina est accrochée la Kasbah de Tanger, indéniablement plus bobo que certaines des ruelles coupe-gorge qui mènent de la médina au port. Je me fais interpeller tous les cinq mètres par de plus ou moins vrais guides. Dans ce quartier se succèdent les maisons d'hôtes et les propriétés achetés par des espagnols et des français. Le chanteur Renaud y possède une maison. C'est aussi dans ces rues que certaines scènes du dernier James Bond, Spectre, ont été tournées. Au fil de la balade, comment ne pas penser aux peintures de Matisse - Vue sur Tanger. Depuis la Kasbah, on peut ensuite rejoindre le front de mer. Vue sur la baie de Tanger ou encore Fenêtre à Tanger - mais aussi à Delacroix et son

Le long du port, on croise des âmes en peine. Je croise cet homme au visage plein de cicatrices. Il me demande 10 dirhams, l'équivalent d'un euro. On discute. Il m'explique qu'il était à Dijon, sans-papiers, et qu'il s'est fait expulsé. Il traîne désormais sur le port de Tanger, essayant à nouveau de faire illégalement la traversée. Il me dit avoir déjà racketté un touriste ou deux, mais seulement pour obtenir de quoi manger, jamais plus que quelques dizaines de dirhams. Il m'explique qu'il voit sortir certains espagnols ou français des boîtes le long du port, accompagnés de " femmes de mauvais aloi " qu'ils paient une centaine d'euros pour la nuit. Ils n'ont pour lui même pas un regard, alors ne parlons même pas d'une petite pièce. Ici, il dort dans la rue. Il me montre ses autres cicatrices sur son corps. Il me dit qu'il espère arriver en Europe, même si c'est pour aller en prison. " Comparé à ici, la prison en France c'est l'hôtel " me dit-il. Et d'ajouter: " Entre la liberté ici et la prison là-bas, je choisis la prison là-bas ". Réalité ou conteur d'histoires à 10 dirhams, ou bien quelque part un peu au milieu...

C'est ici au port de Tanger - Tanger Med - que se trouve la réponse à la question: " Pourquoi tous les petits taxis ont-ils des Renault Dacia ? " que je me suis posé dès la sortie de l'aéroport. Le gouvernement marocain et le groupe Renault-Nissan ont passé un accord afin que Renault puisse fabriquer ici certains modèles de Dacia, qui sont ensuite exportés vers le Moyen-Orient, l'Afrique, et parfois l'Europe. Tous le parc de petits taxis tangérois a ainsi été remplacé par des Dacia, et l'accord prévoit également de remplacer les grands taxis actuels - des vieilles Mercedes 240 - par des Dacia Lodgy. Les chauffeurs ne sont pas toujours très contents.

Pour finir le séjour, rien de mieux que de déguster un thé à la menthe dans le nouveau Tanger. Depuis la terrasse du Café de Paris, on se perd dans le va-et-vient constant de personnes. Devant moi défile le Tanger moderne: beaucoup d'hommes, certains allant au café, d'autres faisant l'aumône, quelques femmes, certaines voilées marchant bras dessus, bras dessous avec une copine, d'autres encore, seule, les cheveux au vent. Un enfant s'arrête à ma table, demande si il peut boire mon verre d'eau qui m'a été donné avec mon thé. J'acquiesce. Cinq minutes plus tard, un homme s'arrête à ma table et me demande si il peut prendre mes sucres, qu'il a vu que je ne mettais pas dans mon thé déjà sucré. J'acquiesce une seconde fois. C'est tout ça, Tanger.