En Amazonie

Publié le 04 octobre 2015 par Aurélien

Mots écrits à la lueur de la chandelle… Une boîte de conserve, un peu de cire fondue, et une bougie calée là-dessus. Cela suffit pour éclairer la table en bois, les restes du souper, la bouilloire, l’armature de l’abri et le toit en feuilles de palmier. A cette heure les moustiques se sont repus et leurs attaques faiblissent; le sol surélevé craque sous les pas; la ligne des feuillages se détache sur le ciel où se lève la lune. Un capharnaüm invisible sévit dans la foret: superposition polyrythmique de cris répétés dans la nuit. Accrochée à l’un des piliers de bois qui soutiennent le toit, une grenouille curieuse nous observe,la glotte palpitante. Il doit être huit heures du soir, la nuit est tombée depuis une bonne heure, et mon guide enfile ses bottes et prend sa lampe frontale pour aller pêcher dans le rio en contrebas.

Je me suis résigné à ne pas sentir très bon (mélange de crème solaire, d’anti-moustiques et de transpiration), à faire ma lessive dans l’eau trouble du rio, à ne pas me gratter les jambes qui me démangent. Là je profite pleinement de ce moment de fraîcheur : nuit tombée, insensible brise, thé désaltérant, répit des moustiques.

L’abri fait cinq mètres sur huit: un plancher sur pilotis, une simple table en bois, deux bancs, un foyer en briques. Derrière moi, prêt pour la nuit, un matelas à même le sol entouré d’une moustiquaire.

Hier les pluies furent torrentielles. Des trombes d’eau se sont déversées sans faiblir tout l’après-midi et bien avant dans la nuit. Nous étions huit sous ce toit: deux Australiens, un Allemand, moi et trois guides, à lire et bavarder dans la pénombre, fascinés pas le déluge. Le toit de palmier nous a gardés tous au sec.de tous côtés on ne voyait qu’un flux violent et le vert vif de la forêt tropicale. Il faisait presque froid. Deux ou trois fois les guides sont stoïquement descendus au rio écoper les pirogues et s’assurer en les penchant que l’eau s’en évacue. Ce soir rien de tel heureusement.

Difficile d’imaginer qu’à la ronde cette forêt se poursuit sans discontinuer pendant des centaines ou des milliers de kilomètres, dans son effarante densité et son assourdissant brouhaha, avec pour seules percées des rivières méandreuses.

On n’accède à la région que par le fleuve (ou par avion pour ceux qui le peuvent): un jour de bateau sur le rio Huallarca pour Lagunas (où je suis descendu), puis deux jours encore sur le rio Marañon pour Iquitos, la plus grande ville du monde non connectée par route. Puis de cette autoroute fluviale on s’enfonce dans la forêt par le réseau ramifié de ses affluents.

Ceux qui aiment leur confort prennent un vol pour Iquitos puis, à prix d’or, un tour organisé qui les emmène en voiture à Nauta, l’entrée Nord de la réserve, puis les balade en pirogue à moteur entre des lodges confortables. Comptez 100 dollars par jour.

En entrant par Lagunas j’ai choisi une option plus difficile d’accès (vol pour Tarapoto, taxi pour Yurimaguas, bateau pour Lagunas), plus rustique, mais surtout un peu plus authentique. Il n’y a pas de douches dans les chambres (et parfois ni douches ni chambres) mais je crois qu’on s’en soucie peu. Pas de pirogues à moteur non plus, mais c’est tant mieux. Il y a trois agences à Lagunas; dans le registre de celle que j’ai choisi (huayruro tours) j’ai compté entre 200 et 300 visiteurs par an (et pas mal de Français…). Les prix aussi sont plus raisonnables, entre 40 et 50 dollars par jour.

Dans cette zone les distances se comptent en jours de pirogue: un jour pour le campement de Posa Gloria, deux jours pour le poste de garde de Camotal, six jours pour le lac Cocha Pasto. Les quelques communautés qui vivent à l’intérieur de la réserve (comme celle de 2 de mayo) ont une dérogation et circulent en pirogue à moteur; il leur faut quand même deux jours de trajet…

A mesure qu’on s’enfonce dans la réserve, l’empreinte humaine s’efface et les forces naturelles reprennent leur empire.

Camotal est indiqué par une cahute au milieu de la carte.

***

Les préparatifs n’en finissent pas… Après les 22h de mon vol Paris – Lima, le vol intérieur Lima-Tarapoto, 3h de taxi pour le port de Yurimaguas où j’ai laissé le plus gros de mes affaires, et 6h de bateau “rapide” pour Lagunas, il faut encore ajouter, la matin suivant, un enregistrement au poste de police, le chargement des provisions pour cinq jours et une petite heure de moto-taxi sur une route caillouteuse jusqu’au poste d’entrée de Tibilo Valadero.

Il y a une demi-douzaine de cahutes en bois et, en contrebas, le coude d’une petite rivière boueuse. Quelques pirogues sont échouées dans la boue. Un quart d’heure pour charger la pirogue et soudain je dois monter. L’embarcation me paraît bien frêle et instable pour cinq jours de survie. J’y descend tant bien que mal depuis le ponton et je me fais une place. Assis à l’avant, mon guide repousse le ponton d’un coup de pagaie et nous voilà partis pour cinq jours dans la jungle.

Il y a un rythme à prendre: celui du pagaiement tranquille, tantôt à gauche tantôt à droite; celui du défilement régulier des deux murs verts entre lesquels nous progressons; celui des piaillements, sifflements, bruissements qui jaillissent sans cesse de la forêt; celui encore des méandres sans fin du rio.

On ne fait pas grand chose. La principale activité, en fin de compte, est de manger et d’être mangé.

Les événements tangibles sont rares: quelque chose plonge dans l’eau, un oiseau traverse le rio… Il faut l’oeil exercé du guide pour repérer, dans la masse verte, un animal qui s’approche du fleuve.

Les animaux se laissent voir au compte – gouttes… Les oiseaux sont les plus faciles: martins-pêcheurs, hérons (garcia), aigles noirs et rouges, perroquets jaunes et parfois rouges, puchares jaunes, et même de bêtes canards… Les poissons sont chez eux mais dissimulés par l’opacité de l’eau; nous croisons un gros poisson électrique (plus d’un mètre de long) qui se contorsionne, et au loin des paiches qui, dépourvus de branchies, viennent respirer à la surface (certains font deux mètres de long…). Une tortue que mon guide libère d’un filet; des petits crocodiles qui se réchauffent sur la rive et plongent au moindre bruit; un anaconda (petit,mais deux mètres de long quand même!) enroulé dans un bosquet aquatique… Les mammifères sont les plus discrets: quelques paresseux paraissent, immobiles et dissimulés dans les feuillages, des hordes de singes (mono fraile, mono negro) chahutent dans les branchages, des otaries s’ébrouent, par groupe de deux ou trois, à distance prudente de la pirogue, sortant le cou de l’eau pour apprécier cette bête bizarre.

Tortue prisonnière Prisonnière libérée Anaconda Araïgnée Bonne grosse tortue Migale Nids de pauchar Petit crocodile Grenouille

Dans tout cela – les apparitions d’animaux sont épisodiques – la forêt tropicale est le vrai protagoniste. Au fil des heures elle se transforme, incessante lutte pour l’espace, confuse, étagée, emberlificotée, entre racines gigantesques, troncs enveloppés de lierres, bosquets de palmiers à troncs bardés d’épines, enchevêtrements de branches et de lianes…

En septembre le rio est au plus bas – c’est la fin de la saison sèche – d’où sa couleur marron et le fait que les animaux sortent du couvert pour boire. En hiver il monte d’un mètre pour atteindre sa rive, puis il déborde encore d’un mètre ou deux, inondant progressivement la plus grande partie de la forêt. Sous une continuelle pluie battante, tous les arbres sont plongés dans l’eau. Alors les animaux terrestres de converger vers les rares terres qui restent à sec.

Les pluies diluviennes d’avant-hier étaient un avant-goût de cette saison de pure humidité. Il faut bien trois mois de pluie ininterrompue, de décembre à février, pour que le niveau de l’eau monte de plus de deux mètres… En été, les matins qui suivent les nuits pluvieuses, la forêt dégoutte encore des pluies de la nuit, mimant celle-ci par le ruissellement des gouttes à chaque étage de la forêt…

***

Dans ce mile extrême, les techniques humaines vont au plus simple et au plus robuste.

Pour le transport: pas de route hors des villes, les cours d’eau servent de voies de communication. Bateaux plats, mississipiens, sur les fleuves; pirogues sur les rivières – il faut pouvoir passer par un mètre de large et vingt centimètres de fond. Les pirogues sont taillées d’une seul pièce dans un tronc. Quelques lattes, au fond, permettent de jeter un matelas de troncs de bambous pour rester les fesses au sec. A l’avant et au l’arrière, une planche pour s’asseoir et ramer. In peut difficilement faire plus simple ni plus solide…

Pour le logement : des cabanes ouvertes. Tout ou presque est en bois. Un mètre de pilotis (en prévision de l’hiver), un sol en lattes de bois (puno), un toit en V fait de feuilles de palmier. Souvent une grande tables, solidaire de la structure, et deux bancs attachés. Quelques piquets jalonnent le sol pour y suspendre des moustiquaires. A une extrémité, un foyer de briques pour cuisiner au feu de bois.

Le toit est le plus étonnant: une centaine d’énormes feuilles de palmier, pliées en deux dans la longueur pour mettre les feuilles d’un même côté, puis laissées à sécher trois jours au soleil; elles sont ensuite posées sur la charpente et fixées par des lianes, en espacées de quinze centimètres jusqu’au faîte. Un toit bien fait et bien épais résiste entre cinq et dix ans…

Sur le trajet que j’ai fait, il y a un de ces campements toutes les demi-journées de pirogue. Certains sont plus élaborés (chambres closes, toilettes…) mais tout reste au plus simple. Les guide doivent se relayer pour l’entretien, par rotations de dix jours.Pour la nourriture : la pêche est reine, que ce soit au filet, à la canne à pêche ou au harpon. A la canne à pêche, les piranhas ne cessent de mordre; à terre ils se débattent comme des déments. Au harpon, la chose est spectaculaire : approche silencieuse en pirogue lance levée, geste vif du lancer et -si le coup est dans le mil – la lance s’agite comme le possible se débat. Tout cela dans l’équilibre précaire de la pirogue.

***

A pied c’est un monde différent. Évanouie, la fraîcheur de l’eau et du vent vitesse. Les chemins sont gadouyeux et jonchés de branches et de feuillages; ils serpentent sans répit et soudain disparaissent.

Contrairement aux rives, qui opposent au regard la verticalité d’un murs presque impénétrable, les étages inférieurs de la forêt sont (relativement) peu denses en bosquets, fourrés et petits arbres. Le gros de la végétation, ce sont de grands arbres, de hauts palmiers, des lianes qui en tombent… Tout ce qui est petit se bat pour la lumière: dans certaines zones ce ne sont que des troncs à hauteur d’homme – et le chemin devient difficile à suivre.

Les animaux se cachent mieux que sur les bords du rio, mais il faut dire que nos bottes boueuses sont bruyantes… Une tortue d’une trentaine de centimètres vient nous faire la discute – elle pèse une tonne… Un groupe de singes rouges se baladent dans la ramure… Les oiseaux sont difficiles à distinguer dans le bazar des feuillages. Des singes sifflent leur cri plaintif.

La démesure de la forêt, en revanche, se laisse pleinement ressentir. La densité est étouffante. Le soleil passe rarement. Certains arbres (lupuna ) sont des géants pluriséculaires: base massive, tronc vertigineux, feuillage lointain qui percé la canopée. La désorientation est totale – avec sa machette, mon guide marque des entailles dans les arbustes pour retrouver son chemin au retour.

***

Points pratiques

Difficile d’aller au Pérou sans passer quelques jours en Amazonie… Mais les informations comparatives manquent pour décider facilement où aller.

Comme principe de base, il faut compter comme minimum syndical trois jours dans la réserve (l’intérêt est limité si on ne s’enfonce pas un peu). Plus on reste longtemps, plus on pénètre dans des zones “tranquilles” et donc plus les chances de voir des animaux nombreux et gros sont élevées. On ne peut entrer qu’avec un guide, ce qui exige de bien choisir son agence!

Il y a en fait trois principales options:

  • La Réserve de Manu, dans la région de Cuzco (entre Cuzco et Puerto Maldonado): accessible par avion ou par un long (mais très beau) trajet d’une douzaine d’heures en bus. C’est cher (100$/jour comme ordre de grandeur); j’ai l’impression (sur la base de ce qu’on m’a raconté) qu’à moins d’y passer une semaine, la plupart des tours ne rentrent pas dans la réserve proprement dite, mais il y a quand même pas mal de trucs à voir. Ça me semble une bonne option pour ceux qui ont un planning serré.
  • La Réserve de Pacaya-Samiria en y accédant par Iquitos, au Nord-Est du Pérou: on prend un vol d’une heure et demie depuis Lima, puis un tour organisé sur place. C’est cher (compter également 100$/jour). La première demi-journée, il faut faire de la route pour accéder à la réserve (via Nauta), puis un peu de bateau à moteur jusqu’à un lodge. Ensuite cela dépend des forfaits. Les lodges proposés, en tous cas, ont l’air assez luxueux. C’est plutôt l’option pour ceux qui aiment leur confort et qui ont les moyens.
  • La Réserve de Pacaya-Samiria en y accédant par Lagunas (c’est l’option que j’ai choisi). C’est moins facile d’accès (1h de vol pour Tarapoto, 3h de taxi pour Yurimaguas, 1/2 journée de bateau sur le fleuve), mais le voyage en lui-même est intéressant (ça permet de prendre le bateau!!), les tarifs sont beaucoup plus raisonnables (40 ou 50$/jour), la zone est peu touristique et on accède directement à la Réserve, où ne sont admises que des pirogues sans moteur (et donc c’est très calme). C’est plus rustique que les lodges de luxes, mais ça fait partie du charme. De ce que j’ai pu entendre, c’est là que les chances de voir des animaux sont les meilleures (au Pérou). Je suis passé par l’agence Huairuro Tours: excellent à tous points de vue. Il y a deux autres agences; je n’ai pas entendu de commentaires négatifs à leur sujet.

Par ailleurs, avant de venir, j’avais songé faire les 3 à 5 jours de bateau de Pullarca à Iquitos. C’est également possible depuis Yurimaguas (en 3 jours à la période où j’y étais). Si vous choisissez cette dernière option, il est préférable d’utiliser une agence à Lagunas plutôt qu’à Iquitos: vous irez dans la même réserve mais pour moitié prix.

Sur ce, tentez l’aventure et profitez-en bien!

Vous pouvez accéder aux articles contigus de ce carnet:<< Vers l’Amazonie péruvienne"><< Vers l’Amazonie péruvienne"><< Vers l’Amazonie péruvienne