Retour à Echternach, patrie de Saint Willibrord

Publié le 28 décembre 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Une simple photo un peu jaunie de moi sur les marches du calvaire, sur la Grand Place d’Echternach, prise par mon grand-père. Nous sommes, il me semble, en 1985. Il faudrait que je m’en assure en retrouvant l’ordre chronologique des photos. 2014, c’est mon fils qui va sur ses douze ans, à peu près l’âge que j’ai sur la photo, qui monte sur le calvaire. Hasard heureux dont je ne me rends compte qu’une fois revenu et lorsque je regarde les photos que mon grand-père avait prises à l’époque. Culottes courtes, gilet croisé, chaussettes blanches, raie sur le côté ; je me rends compte à quel point je n’étais déjà plus du tout dans l’air du temps. Finalement, j’aurais passé ces quarante dernières années de ma vie en décalage.

Romuald au pied du calvaire d’Echternach

Echternach (Iechternach en luxembourgeois, Eechternoach ou Iechternoach en dialecte) est une petite ville d’à peine 5000 habitants, nichée dans un repli de la Sûre (D’Sauer) qui fait la frontière avec l’Allemagne. De l’autre côté du pont, Echternachbrück, Deutschland.
Nous sommes à une trentaine de kilomètres de Luxembourg, à peine 25 de Trier (Trèves) en Allemagne. La ville en elle-même n’a pas beaucoup d’attrait, c’est une ville de moyenne importance, une sorte de poste-frontière qui ne ressemble plus beaucoup à ce qu’elle était du temps de sa splendeur. La Grand Place et la Place du Marché (Marktplatz), mais également l’hôtel de ville, le Dingstuhl (ou Denzelt, instance administrative et judiciaire), témoigne de la puissance passée de la ville. La présence du culte de Saint Willibrord, saint patron du Luxembourg et de la basilique fondée sur la crypte où il repose est en outre un symbole culturel identitaire fort pour les Luxembourgeois.

Echternach (Luxembourg) - Eglise Saints Pierre et Paul

Echternach (Luxembourg) - Eglise Saints Pierre et Paul

Dans cette petite ville tranquille, loin des lieux touristiques, se trouve une petite église, perchée en haut d’un rocher et à laquelle on accède par une volée d’escaliers moussus. A l’intérieur de l’église Saints Pierre et Paul, entre sobriété et polychromie, on trouve une atmosphère calme et colorée. Les vitraux modernes diffusent une lumière douce et les peintures des murs sont peintes dans un style très allemand, dans des polychromies qui donnent une bonne idée de la manière dont était décorées les églises naguère. Je reste quelques instants dans ce lieu un peu perché, un peu à mi-hauteur entre les hommes et les dieux, sans être dérangé par qui que ce soit. Un festival a lieu ici tous les ans, un festival de musique classique ; l’acoustique semble parfaite.

Echternach - Église Saints Pierre et Paul

Echternach (Luxembourg) - Rue des écoliers - Shullergaas

Echternach (Luxembourg) - Place du marché

En sortant de l’église, j’emprunte la rue des écoliers (Shullergaas) pour rejoindre la Place du Marché où se trouve le Dingstuhl. Sur la jolie place se trouve une fontaine fleurie et l’on trouve encore ici quelques arcades sur cette place pavée. La Grand Place, elle, laisse entrevoir ce que pouvait être la vie de cette ville ne serait-ce qu’au début du XXè siècle.

C’est ici que je retrouve le calvaire au pied duquel j’ai été pris en photo. Depuis cette rue remonte la rue de la Gare, gare qui n’existe plus depuis sa destruction en 1974. Le dernier train de la Sauerlinn (ligne de la Sûre) est parti de la gare d’Echternach en 1964. Aujourd’hui, c’est une gare routière qui occupe son ancien emplacement. Dans cette rue, c’est une longue succession de commerces, de restaurants aux enseignes parfois peintes pas tous ouverts, de petits magasins de vêtements, de tabacs que les Allemands frontaliers viennent envahir à cause du prix du tabac beaucoup plus intéressant que chez eux. La rue se termine par un portique, puis par la gare routière, au bord de la Sûre ; un immense parking attend le passage des cars qui parcourent la région. C’est apparemment le rendez-vous des marginaux des environs, punks à chiens, clochards errants, alcooliques que se cachent dans ce lieu d’échange, entre errance et no man’s land. Un type aux cheveux longs, canette de bière à la main, m’attend à la sortie des toilettes publiques de la gare ; il avait juste envie de parler, ce que je fais de bonne grâce.

Echternach (Luxembourg) - Basilique Saint Willibrord

Echternach (Luxembourg) - Basilique Saint Willibrord

Echternach (Luxembourg) - Basilique Saint Willibrord - Pierre Richardot

Echternach (Luxembourg) - Basilique Saint Willibrord - Ange et suaire de Véronique, Atelier de Trèves

Je remonte la rue pour revenir sur la basilique Saint Willibrord qui date du XIè siècle, bâtie sur une église carolingienne dont la crypte est l’unique vestige ; c’est ici qu’aujourd’hui se trouve le cénotaphe contenant les restes du saint protecteur du Luxembourg. C’est une immense bâtisse austère, dans un style roman classique qui ne date que de 1868, et si elle a été détruite en 1944, elle a par la suite été reconstruite à l’identique et la façade est directement inspirée de celle de Paray-le-Monial. L’intérieur est un intérieur de basilique intégrée à une abbaye bénédictine, c’est-à-dire foncièrement austère. Des cartes postales anciennes datant du début du XXè siècle montrent que l’intérieur a été décoré de polychromies et de motifs géométriques. Aujourd’hui, tout a disparu pour lui rendre un aspect conventionnel. Si le sarcophage de Willibrord a été conservé intact, c’est parce que malgré l’effondrement de la basilique et le bombardement qui l’a mise à terre, la crypte a été miraculeusement épargnée. Le cénotaphe a été remonté dans le chœur après sa restauration en 1868, puis redescendu dans la crypte après la consécration suite à la restauration en 1953. Un petit musée situé dans la sacristie me fait m’arrêter devant deux pièces superbes : Un statue pour le monument de Pierre Richardot et un ange et suaire de Véronique datant de la fin du XVè siècle réalisé dans l’atelier de Trèves.

Si la ville demeure importante par la consécration de Saint Willibrord comme saint protecteur du pays, elle est aussi connue pour sa procession dansante, inscrite sur la liste représentative de l’héritage culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Cette procession, si elle consacre le fait religieux, s’est trouvé fortement contestée par l’Église qui y voyait autrefois une rémanence de culte païen. Elle est aujourd’hui parfaitement intégrée à la vie religieuse et culturelle de la ville, rassemblant tous les ans plus de 13000 pèlerins. Cette procession dansante se fait dans toute la ville et sa particularité réside dans le fait que les danseurs sont reliés entre eux par des foulards blancs, brodés aux armoiries de la ville. Le caractère jubilatoire et dansant de cette procession en fait un objet d’étude ethnographique fascinant qui la fait remonter à un temps immémorial.

Le matin, en arrivant, je me suis arrêté dans une supérette à l’entrée de la ville ; c’est ici que j’entends pour la première fois une langue jamais entendue jusque là. A la caisse, un couple de jeunes s’exprime dans cette langue dont on a peine à s’imaginer qu’elle est une vraie langue ; le luxembourgeois (lëtzebuergesch). Peut-être même est-ce ce dialecte d’Echternach et qui semble rouler sous la langue… ? Je quitte la ville dans cette atmosphère un peu mystique dont je m’enrobe, immergé dans les lieux de spiritualité et je file vers Vianden, en frôlant la frontière, en la traversant plusieurs fois, encore une fois.

Echternach (Luxembourg) - Rue du Pont

Voir les 25 photos de cette journée à Echternach sur Flickr.