Hpa-An: pics karstiques et monastère Zwe-gai-bin

Publié le 02 septembre 2014 par Aurélien
Cet article est l'entrée 8 / 8 du carnet Birmanie

Dans le Sud-Ouest birman

Hpa-An est une éclosion de pics karstiques baignés par la rivière Salouen. En remontant le fleuve depuis le delta de Moulmein et la mer d’Andaman, au fil des lents méandres qui prennent toute la largeur, toute l’ampleur du fleuve, les villages en palmier et en bambou défilent, peuplés de champs de bananiers et de gamins qui s’éclaboussent ; et soudain les premiers des pics qui entourent Hpa-An émergents du sfumato, trait de crayon que d’abord on devine à peine à l’horizon, et qui passe mètre par mètre de l’état gazeux à l’état solide, du pur contour en teinte de gris entre ciel et terre à des formes substantielles, massives, abruptes.

Certains sont un pic unique ; d’autres une crête sinusoïdale. Autour de Hpa-An, une dizaine ou une vingtaine de ces massifs dialoguent sur la plaine, groupés autour de la Salouen comme des lions de pierre à l’heure où ils vont boire.

Le plus grand, le plus étrange d’entre eux est le Mont Zwe-gai-bin. Vu par la tranche, dans toute sa longueur, il ressortit à l’espèce triangulaire des pics à crête, mais vu de Hpa-An, de son petit côté, c’est un pur rectangle découpé sur le ciel : verticalité parfaite des parois latérales, horizontalité de la ligne de crête. Au sommet, quand même, petite excroissance, et au sommet la pointe étincelante d’un stupa qui défie l’entendement : c’est là que je dors ce soir.

Ascension et nuit sur le mont Zwe-gai-bin

Parti de Hpa-An, une moto me dépose au pied du Mont Zwe-gai-bin. Je traverse une fauconnerie de Bouddhas – plus d’un millier, alignés dans leur blancheur lessivée sous le soleil. D’ici 2015 un téléphérique sera construit ; mais ce jour-là je n’ai devant moi que des marches, quelques milliers qui apprivoisent la verticalité. Il n’est que quatre heures, mais la chaleur est véritablement insoutenable, d’autant que je monte d’un pas rapide pour atteindre le sommet avant la tombée de la nuit. 700 mètres de fournaise, à gravir marche par marche, chacune coûtant en sueur sa livre de chair ; et sur les zones d’ombres souffle un vent qui glace. Je croise deux ou trois vendeurs qui eux redescendent, seul le reste du temps face à l’expiation des marches, martelé sous leur cadence comme un fer rougi à blanc.

Et dans le même temps que j’exsude la chaleur, je prends insensiblement de la hauteur à flanc de massif, et la beauté du paysage m’assaillit sans mesure humaine. Il y a l’échiquier de ces géants de pierre posés sur un plateau de champs ; il y a les jeux de couleurs et d’ombres alors que le soleil achève de se consumer ; il y a surtout cette verticalité, qui m’aspire marche après marche.

Du sol, les pics m’en imposaient par leur stature, ici je les rattrape, là je les toise. La ville de Hpa-An, si proche, se recule comme sous un avion qui décolle. Crête après crête je me juche sur les épaules du géant immobile.

Cette pure projection verticale me tire hors du « monde flottant », l’aplatit, l’embrasse tout entier. « Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle à tes pieds »… Deux fois plus haut que son antenne, monté par l’escalier, c’est un troupeau de pics qui bêle autour des hésitations de la Salouen.

Depuis le monastère qui coiffe le sommet, on ne voit pas les parois, qui tombent à pic. Le vent porte le son des plaines, mêlé aux clochettes d’or de l’ombrelle du stupa. Des bâtonnets d’encens fument au pied des Bouddhas, puis des chandelles les rejoignent quand la nuit s’installe. Lune éblouissante, poussière d’étoiles. Les enfants courent de partout, quelques fumets de cuisine, deux grandes chambres pour ceux qui passent la nuit ici – dans un coin, des piles de couvertures.

Après la foule du Mont Fuji, après la vulgarité des Montagnes jaunes, c’est la première montagne d’Asie dont j’atteins le sommet avec joie – entre gens suants, pantelants, mais heureux.

Après-demain, mon vol pour Paris ; demain je me lèverai tôt pour redescendre sur Hpa-An et contempler le retour à la vie du “monde flottant”.

Conseils pratiques

Hébergement: je suis descendu à la Soe Brothers’ Guesthouse, mais il y a plusieurs autres adresses sympas.

A faire: si vous restez deux semaines en Birmanie, allez-y absolument! Restez bien deux jours, c’est aussi beau que Bagan ou Inle.

Le plus beau est d’arriver par Moulmein (un peu plus au Sud) en bateau (l’apparition de Hpa-An au détour d’un méandre est magnifique, et le trajet est sympathique). Une pirogue à moteur part tout les jours s’il y a au moins trois personnes (demander à la Soe Brothers’ Guesthouse, la pirogue coûte 40000). La région de Moulmein est moins belle, mais si vous avez du temps il y a de quoi occuper une journée.

Vous pouvez passer une journée en scooter à voir différents sites: un rocher rigolo au centre d’un lac (style Seigneur des anneaux…), une grotte traversante, une piscine naturelle au pied d’une falaise, ou encore la sortie à six heures précises de dizaines de milliers de chauves-souris d’une anfractuosité rocheuse.

Je vous recommande aussi de faire l’ascension du mont Zwe-gai-bin et de dormir au sommet. Ca représente une à deux heures de montée raide (sur des marches), mais le jeu en vaut la chandelle: vous serez seuls ou presque avec quelques Birmans à contempler le coucher et le lever de soleil sur la plaine et les pics karstiques (enfin, tant que le téléphérique ne sera pas construit…). L’hébergement est gratuit; il y a un restaurant en haut. Il est permis de sympathiser avec les singes.

L’arrivée en bateau sur Hpa-An La forme carrée du mont Zwe-gai-bin Le rocher Kyaik-ka-lat Au sommet du mont Zwe-gai-bin Lever de soleil depuis le mont Zwe-gai-bin A six heures, l’envol des chauves-souris Vous pouvez accéder aux articles contigus de ce carnet:<< Fragile lac Inle"><< Fragile lac Inle"><< Fragile lac Inle"><< Fragile lac Inle