Le tombeau de l’apôtre Jacques en ligne de mire

La plaza del Obradoiro est enfin à portée de vue. Plus que quelques dizaines de mètres et les pèlerins qui arrivent des quatre coins de l’Europe toucheront enfin à leur but, après, pour certains, plusieurs mois de marche : la majestueuse cathédrale où repose l’apôtre Jacques dont le corps décapité aurait échoué en bateau sur les plages galiciennes à deux pas de Compostelle. Depuis près de douze siècles, des Chrétiens rallient ainsi la capitale de la Galice pour se prosterner devant ce tombeau empli de mystères. Né au IXe siècle, le pèlerinage de Saint-Jacques avait quasiment disparu au XIXe siècle. C’est à la fin du XXe siècle, qu’il a connu un regain de ferveur puisque, si seulement une centaine de pèlerins à pied a été comptabilisée à l’arrivée à Compostelle en 1975, ils étaient 2 500 en 1986 pour être plusieurs centaines de milliers au début des années 2000 (1). Au départ du Puy-en-Velay (France), les guides touristiques estiment à 62 jours le temps de marche pour rejoindre cette ville sainte du monde chrétien.

Un premier pèlerin au Xe siècle

Le tombeau de l’apôtre Jacques en ligne de mire

La cathérale de Saint-Jacques-de-Compostelle

Le premier pèlerin étranger « officiel » de ce pèlerinage est Godescalc, évêque du Puy-en-Velay, qui avait rejoint la ville en l’An 950. Avec son exploit naissait l’un des nombreux chemins qui mène aujourd’hui en Galice, la « Via Podiensis ». Si, d’un point de vue français, et plus particulièrement ponot (1), on considère le départ du Puy-en-Velay comme le plus important, les Compostellans parlent, eux, plutôt du « Camino francès », le chemin français, qui relie la ville espagnole de Puente la Reina (où se retrouvent les quatre chemins de l’Hexagone : Arles, Vézelay, Paris et le Puy-en-Velay) à la leur. Néanmoins, le chemin au départ de Notre-Dame du Puy-en-Velay reste le plus fréquenté et le premier qui fut créé en dehors de la péninsule ibérique. Une partie de son itinéraire figure d’ailleurs parmi les chemins de Grande randonnée et porte le nom de GR 65.

Le tombeau de l’apôtre Jacques en ligne de mire

Le monastère San Martin Pinario

Le tombeau de l’apôtre Jacques en ligne de mire

Coquilles, besaces, bâtons de pèlerins…

L’ultime but : la « Compostela »

Selon Victoria, l’une des permanentes de la Maison du pèlerin à Saint-Jacques de Compostelle, ils sont actuellement plus de 1 500 à arriver chaque jour dans cette ville du nord-ouest de l’Espagne pour faire valider leur « Compostela » : « L’année dernière, nous avons été débordés de demandes (NDLR : 2010 était une année jubilaire à Compostelle (3). Ils étaient des dizaines de milliers chaque jour avec leur carnet du pèlerin, le « Crédential », à la main. Ça s’est forcément calmé cette année, et puis nous nous méfions des « faux » pèlerins ». Car oui, pour obtenir la fameuse « Compostela », ou tout simplement un carnet du pèlerin, il faut montrer patte blanche au représentant de l’autorité religieuse: « Nous souhaitons que ce chemin garde sa vocation première. Avant de vendre un « Crédencial » (NDLR qui ne coûte 0,85 euro), nous posons des questions au futur pèlerin quant à ses motivations. »

Le tombeau de l’apôtre Jacques en ligne de mire

Monastère banadictin Igrexa de San Paio de Antealtares

Le tombeau de l’apôtre Jacques en ligne de mire

La praza del Obradoiro

Le carnet du pèlerin, un document « sacré »

Ce « Crédencial », une sorte de successeur de la Coquille Saint-Jacques (4) comme preuve d’arrivée à Compostelle, a deux fonctions. La première, « matérielle », permet au porteur de justifier sa qualité de pèlerin et de bénéficier des avantages accordés, notamment pour la réservation des gîtes. La seconde, spirituelle, permet au pèlerin de justifier son itinéraire afin d’obtenir son « Graal » : la « Compostela », sorte de certificat de pèlerinage officiel, rédigé en latin et décerné par les institutions ecclésiastiques depuis le XIVe siècle. Contrairement à ce que l’on croit, il n’est pas nécessaire d’avoir parcouru intégralement l’un des nombreux chemins qui mène à Saint-Jacques pour l’obtenir. La condition est d’avoir parcouru au moins les cent derniers kilomètres à pied (ou 200 km à vélo ou à cheval) et de les avoir fait valider. Cette règle a néanmoins quelque chose d’absurde que certains pèlerins vivent même comme une injustice. En effet, vous pouvez, par exemple, avoir réalisé 93 % des 1530 km qui séparent Le Puy-en-Velay et Saint-Jacques de Compostelle et ne pas avoir droit à la « Compostela », alors que vous l’obtiendrez en n’ayant fait que les 7 % de la fin du parcours…

La religion, un commerce comme un autre

Pour l’économie compostellane, l’arrivée du chemin constitue un véritable moteur. Parallèlement à l’activité des secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, pour les commerçants, tout ce qui a attrait à la religion est un produit à vendre comme un autre. Coquilles Saint-Jacques, besaces de pénitents et bâtons de pèlerin s’achètent ici comme les boules à neige habitées d’une Tour Eiffel sur un quai parisien. Mais au-delà du poids religieux omniprésent sur ce site espagnol, les touristes qui jalonnent les rues médiévales sont aussi là pour percer les mystères de cette somptueuse vieille ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Un authentique musée à ciel ouvert où les légendes se confondent aisément avec l’histoire. Néanmoins, à moins que vous ne soyez férus d’architecture, une journée suffit pour profiter de cette agglomération de près de 100000 habitants parfaitement préservée mais très touristique. Située à seulement 2h30 de Porto, Saint-Jacques-de-Compostelle peut faire l’objet d’une étape depuis le nord de la Lusitanie.

NOTE :
(1) Le chemin a été proclamé, en 1987, premier itinéraire culturel européen par le Conseil de l’Europe.

(2) Habitant du Puy-en-Velay (département français de la Haute-Loire)

(3) À Saint-Jacques de Compostelle, une année jubilaire a lieu lorsque le 25 juillet (jour de la Saint-Jacques) tombe le dernier jour de la semaine, en mémoire à la découverte du tombeau qui fut faite un dimanche.

(4) Au Moyen-âge, les pèlerins ramenaient de Compostelle une coquille (baptisée du coup « Saint-Jacques ») qui prouvait qu’ils avaient effectué le chemin jusqu’en Galice. Ces coquilles servaient aussi de protège genou pour les croyants qui faisaient une partie du pèlerinage sur les rotules…

À VISIONNER SUR LE SUJET
« Saint-Jacques… La Mecque » de Coline Serreau (DVD aux éditions Aventi).