Carnet de voyage en Turquie : Patara et Xanthos, les grandes cités lyciennes

Épisode précédent :

Bulletin météo de la journée (samedi) :

  • 10h00 : 37.8°C / humidité : 29% / vent 7 km/h
  • 14h00 : 43.1°C / humidité : 55% / vent 17 km/h
  • 22h00 : 42.2°C / humidité : 81% / vent 6 km/h

Encore une journée qui s’annonce calme sous un soleil écrasant. Les températures sont simplement affolantes et dépassent largement les 40°C. La raison voudrait que je reste enfermé dans ma chambre semi-climatisée ou à l’ombre d’un parasol au bord de la piscine, mais rien n’y fait, je n’arrive pas à rester en place, même si je lézarde un peu en somnolant après un petit déjeuner copieux, à base de fromage blanc et de tisane de sauge.
Je reste en admiration devant ce petit appendice qui dépasse de la cuvette des toilettes, où que je sois passé depuis mon arrivée ici, sur la partie antérieure et qui propulse un jet d’eau puissant destiné à se nettoyer. Évidemment, le sujet est un peu délicat à traiter, mais je suis admiratif de ce procédé utile et efficace qui ne me laisse plus aucun doute sur l’hygiène de ce peuple qui a l’habitude des bains publics et des ablutions liées à la prière. Je rêve qu’un jour en France, dans ce pays qu’on dit aseptisé et hygiéniste, on puisse prendre autant soin de son hygiène corporelle, ce qui est loin d’être le cas.

Patara ÖrenyeriLe midi, je retourne déjeuner chez Ezra avant de refaire un tour par l’hôtel pour lire un peu Amin Maalouf au bord de la piscine et piquer une tête dès que la température devient intolérable.
Cet après-midi, j’ai décidé de me rendre à Patara. Après tout, c’est le site le plus proche d’ici et je ne suis même pas allé le voir. En fait, quand on suit la direction du site (les sites archéologiques sont signalés par des panneaux écrits en blanc sur fond marron qui font penser à ceux qu’on trouve au bord des autoroutes françaises) qui se trouve au bout de la route qui traverse le village, on arrive à ce qui ressemble à un poste frontière. Je crois que c’est la première fois que je vois un site aussi bien gardé. Il se trouve que c’est également l’entrée d’un site très connu car il passe pour être la plus belle plage de la côte turque. J’avoue sans honte que je n’y suis pas allé de tout mon séjour, trouvant certainement qu’il y avait bien d’autres choses à faire que d’aller se baigner dans la Méditerranée. Cela dit, avec du recul, je regrette un peu, mais je m’en remettrai. Après la barrière, on arrive donc sur le site qui s’étend tout au long de la route. Dès lors que je commence à vouloir prendre des photos, je me rends compte que quelque chose ne va pas, mon appareil reste obstinément éteint. Je commence à angoisser en me disant que si mon appareil me lâche maintenant, je ne vais plus pouvoir garder d’images de tout cela ; c’est simplement inconcevable pour moi. En tentant d’établir un diagnostic, je me rends compte que la batterie est absente de son compartiment et en une fraction de seconde, je la revois dans son chargeur, bien au frais sur la table de la chambre d’hôtel. Je n’ai plus qu’à prendre des photos avec mon téléphone.

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Patara est une ville importante à l’époque de la confédération lycienne, une ville construite comme un port majeur, mais qui a été depuis longtemps déjà ensablé, ce qui a perdu la ville et l’a renvoyé dans l’anonymat le plus total. Elle se situait autrefois à l’embouchure de la rivière Xanthos, qui s’est déplacée vers le nord. L’histoire de Patara s’enlise dans les sables avec ses légendes et ses mythes, mais ce qui est certain, c’est son lien fort avec Apollon. Patara viendrait de Patarus, fils d’Apollon, dont on retrouve trace un peu plus loin avec le Alexandre puis tomba aux mains des Ptolémées avant d’être finalement annexée à l’Empire Romain. Sa décadence s’acheva avec la christianisation et la construction d’une basilique récemment désensablée. Patara apparaît de manière importante dans la Bible puisque Paul de Tarse (Saint Paul) y passa et qu’elle fut la ville de naissance d’un autre saint important, Saint Nicolas (Nicolas de Myra).

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Je commence la visite du site par le théâtre, détruit en partie sur le niveau inférieur et au pied duquel je découvre des stèles étranges. Elles portent les traces de sculptures où l’on peut voir des armes et des boucliers qu’on pourrait croire appartenir à des hoplites mais franchement, je n’arrive pas à lire ce que j’ai sous les yeux. Un peu plus loin, je visite le siège de la confédération qui n’est autre qu’un amphithéâtre assez petit et très joliment restauré. On voit bien qu’ici ne se jouait aucun spectacle, si ce n’est celui du pouvoir et de la tribune. On imagine parfaitement les puissants du monde lycien régir leur patrie à coups de lois votées à main levée, des notables dans leur toges se rognant les ongles ou discutant de leurs esclaves sous le regard inquisiteur d’un chef de séance et sous un soleil brûlant. Le lieu a de la majesté. Sous le parterre de verre au centre de l’hémicycle, le sol originel de cette salle suprême.

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Au dehors, on trouve une colonnade assez imposante qui n’est autre que l’agora de la ville, plongeant aujourd’hui le pied de ses colonnes de marbre en partie dans les marais. Parmi les débris de cette ancienne civilisation, des restes de mosaïques abandonnées, des dalles percées (greniers ? latrines ?), des dalles de terre cuite ouvragées, des signes chrétiens certainement gravés tardivement… Il reste encore quelques greniers qui finiront bien par s’écrouler, un arc de triomphe qui n’a plus rien de triomphal et des tombes qui nous disent bien que nous ne sommes pas en Grèce, mais bien en Lycie. La Basilique et le cimetière chrétien sont inaccessibles en raison des travaux de désensablement en cours. La ville retrouve en partie sa superbe, même si tout se perd dans les méandres de l’histoire. J’entends une clarine venant de derrière les tamaris ; je me doute que c’est une vache qui s’est mise à l’abri du soleil. Si je fais le compte, je crois que je n’ai jamais autant transpiré sur sous le soleil de Patara.

Je file ensuite vers l’est avec la voiture et je traverse la ville de Kınık (prononcer keuneuk) que je trouve charmante, même si ce n’est qu’une ville de paysans qui vous regardent de travers, ou qui ne vous regardent pas du tout. C’est le genre de ville qui a poussé le long de la route sans s’étendre à plus de vingt mètres de celle-ci, ce qui donne une impression d’étendue. Une vieille mosquée est abandonnée sur le bord, sans entretien ni considération, tandis qu’une autre, flambant neuve, avec son toit de zinc brillant sous le soleil trône fièrement au bout de la route. Les jeunes font la nique aux vieux. Le minaret mange la route et le bâtiment tombe en ruine.

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Je me gare sur ce qui semble être le parking du site de Xanthos (Arñna en lycien) et qui n’est en réalité qu’une place mangée par les herbes que les chèvres d’une bergère s’amusent à brouter en passant. Mine de rien, il est déjà tard et tout ce petit monde rentre chez lui. Je suis tout seul sur le parking et sur le site, autant dire qu’il n’y a pas grand monde non plus. J’arrive juste au moment de la fermeture du guichet et une fois de plus, je me rends compte que comme le site n’est pas fermé, j’aurais très bien pu ne pas payer si j’étais arrivé cinq minutes plus tard. 10TL l’entrée, ce n’est pas la ruine (sans mauvais jeu de mots) et on peut espérer que cet argent revient de droit à l’entretien du site. Comme le Xanthos est un site inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. L’histoire de Xanthos est bouleversante ; cité importante de la région, elle fut maintes fois envahies et sa population massacrée. Hérodote raconte un épisode particulièrement tragique où face à l’invasion des Mèdes, les femmes et les enfants sont regroupés dans l’acropole auquel les Xanthiens eux-mêmes mettent le feu. Un autre épisode de suicide collectif est relevé lors de l’invasion de la cité par Brutus à l’époque romaine.

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Ici, contrairement à l’autre site, on ressent l’imposante grandeur des lieux. On y entre par une arche et une route pavée, et l’on arrive de suite face au théâtre antique, immense, chaotique, imposant. A proximité, deux tombes surélevées font la fierté du site. L’une d’elle est appelée « pilier des Harpies » en raison de la présence de ces personnages mythologiques sur le linteau du monument. C’est en réalité le tombeau du satrape Kybernis. Ces tombes étaient certainement construites en hauteur pour éviter les pillages. On se doute bien que tout ceci a dû être razzié depuis bien longtemps. Derrière le théâtre, on trouve les restes d’une ville assez étendue sur la terrasse qui surplombe la rivière Xanthos (Eşen Çayı, ou Koca Çayı en turc : très grande rivière), dont on peut voir certaines maisons subsister. De superbes mosaïques pavent encore ces maisons et afin de les conserver, on les voit affleurer sous une couche épaisse de paille et de feutre. A fleur de terre, on peut également voir les restes des canalisations en terre qui devaient servir à l’assainissement, ce qui révèle un haut niveau de civilisation. Moment d’émotion devant une cuve creusée dans la roche de la colline et flanquée de marches pour y descendre ; c’est une piscine. On imagine parfaitement de jolies femmes nues profiter de la fraîcheur de l’eau sous ce climat incroyablement sec. En haut de la terrasse, une plateforme de pierres jointoyées donne une vue spectaculaire sur la rivière et sur un paysage de… serres, encore et toujours.

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Je remonte sur l’agora où se trouve d’immenses stèles gravées de cette belle écriture d’un alphabet qui ressemble à celui des Grecs mais qui est celui des Lyciens. Le soleil se cache derrière les montagnes et je continue mon chemin sur les pavés du forum dont les colonnes sont à terre. Les chapiteaux sont redressés sur le bord de la route, et je me faufile en courant vers la basilique, pourchassé par une armée de guêpes qui me surveillaient en embuscade. J’arrive à leur échapper en tournant à droite — ce brusque changement de direction a suffi pour les semer. Il ne reste plus que quelques montants de portes à la basilique chrétienne. Comme tous les sites antiques de la région, les Chrétiens ont fait survivre ces villes en les habitant. Sur les piliers, on trouve les signes de croix gravés et on voit clairement la forme arrondie du chœur tout au bout. Je pensais, en arrivant ici, voir les superbes mosaïques de cette église antique que j’ai découvert sur internet (voir notamment sur Insecula), mais pour leur conservation, elles sont également recouvertes de feutre et de terre. C’est évidemment dommage de ne pouvoir les voir, mais c’est malheureusement le seul moyen de les abriter des ravages du temps.

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Je reprends la voiture et je pars dans la direction opposée à celle que j’ai prise en arrivant. Lorsque je passe devant un type que je pense être un des gardiens, je lui demande si on peut monter sur l’acropole. Il me dit que non et que la route que je veux emprunter ne mène nulle part. Un peu têtu, je décide d’y aller quand-même une fois qu’il a le dos tourné. Effectivement, aucune route ne permet de monter sur cette montagne qui a vu couler tant de sang. Mais c’est ici que je ferai une de mes plus belles rencontres. Je me gare sur un chemin de terre rouge au bord de la route, à côté d’une Renault 12 break blanche. Derrière se trouvent trois personnes, une jeune homme, une femme et un vieil homme que je reconnais immédiatement. Je l’ai vu rôder sur le site tout à l’heure. Il porte une casquette et des favoris touffus, sa peau burinée et recuite par le soleil luit sous les derniers rayons. Ce sont des bergers et le vieil homme s’approche de moi, il me fait signe vers la montagne et me prie de le suivre. Il ne doit pas voir souvent des gens s’aventurer jusque là, surtout si le cerbère du site décourage les visiteurs. Il m’emmène alors voir les tombes de l’acropole, dont la tombe des lions qu’on dit être le monument le plus ancien de la Lycie. Malheureusement, je suis sur le versant le plus ombragé et mon appareil photo ne sort que quelques clichés granuleux. Le berger monte avec une célérité de jeune cabris tandis que je souffle derrière lui pour garder le rythme, glissant sur la terre d’ocre sèche et me lacérant les mollets sur les feuilles acérées des mahonias et des ajoncs. Il me montre chacune des tombes et m’explique dans un anglais haché que la plupart des monuments les plus intéressants sont au British Museum ; il me dit ça avec une pointe d’amertume en me disant que lui n’ira certainement jamais. C’est à Londres également que se trouve le Monument des Néréides. Le vieil homme me raccompagne à la voiture et nous discutons un peu tandis que je me bats avec des guêpes franchement audacieuses, ce qui le fait marrer. Il s’appelle Dormuş, il est berger et vit à une centaine de mètres d’ici. Sa femme et son fils l’accompagnent toujours et ils finissent leur journée au pied de cet arbre une fois les bêtes rentrées ; ils ouvrent alors une bouteille de rakı. Je reste là quelques minutes, attendri par ce vieil homme attachant qui ne cherchait qu’à partager quelque chose avec un étranger qui s’est perdu. J’ai beaucoup aimé ce moment tendre et nous nous quittons en nous serrant la main. Il me montre la direction de la route de Patara (Asar Caddesi) et me voilà reparti dans un air doux que le vent a finit par rafraîchir un peu.

Je dîne à l’Aspendos, d’un Adana kebap délicieux et d’un verre de rakı, face à la cabane déglinguée de MetroTurizm, compagnie avec laquelle je dois rejoindre la Cappadoce. Franchement, ce n’est pas très engageant. Je finis ma journée en pensant encore et encore à ce vieux berger gentil dont les traits du visage ne sont pas prêts de s’effacer.

Voir les 152 photos de cette journée sur Flickr.

Localisation sur Google Maps:

  • Patara (siège de la confédération lycienne)
  • Site archéologique de Xanthos