Une journée à la caserne

Par Elodieberlin

Photos : Magali F. Fouquet

Difficile de vous conter cette exploration qui a duré une journée entière soit environ 7 à 8 heures dans cette caserne abandonnée. Une caserne ? Autant dire une petite ville avec ses logements, son casino, ses garages, son théâtre, son court de tennis mais aussi ses salles des machines, ses fourneaux, son immense buanderie, sa cantine, sa salle de sport, sa tour de garde de 48 mètres. Environ 350 bâtiments ! Les deux tiers d’entre eux ont été construits sous l’aire soviétique et ont servi de logements pour des familles.

Cette caserne fut édifiée entre 1937 et 1939 pour abriter l’école de cavalerie, établie depuis 1866 à Hanovre. A proximité de Potsdam qui comptait déjà de nombreuses casernes et infrastructures militaires depuis des années, l’emplacement était idéal pour la caserne officiellement appelée : Heeres Reit-und Fahrschule und Kavallerieschule Krampnitz (Armée montée et école de conduite et école de cavalerie de Krampnitz). A l »occasion de cette construction un service d’urbanisme des armées fut même créé.

Sur les 85 hectares les soldats apprenaient à monter à cheval mais aussi à conduire les véhicule de guerre. De fait, si l’armée allemande comptait au début de la guerre près de 573 000 chevaux, la tendance était à la motorisation. La cavalerie restait toutefois un symbole auquel était attaché la noblesse et de nombreuses médailles avaient été gagnées aux jeux Olympiques par les officiers issus de l’école de la cavalerie . La caserne fut donc conçue pour respecter les traditions de la cavalerie mais devait aussi être résolument tournée vers la modernité.

3700 militaires et 1800 chevaux vivaient à Krampnitz. On comptait aussi de nombreux logements qui abritaient 450 familles au sud de la caserne proprement dite.

L’utilisation de la caserne évolua en même temps que la motorisation de l’armée. En 1941 elle prit le nom de « Schule für schnelle Truppe » (école pour les troupes rapides), en 1943 ce fut « Panzertruppenschule II Krampnitz » (école des troupes Panzer II de Krampnitz). En 1944 l’unité motorisée quitta la caserne pour Bromberg en Prusse Orientale. Si bien qu’en 1945 il ne restait plus qu’un nombre restreint de soldats à Krampnitz. Ils furent transférés dans des prisons américaines et anglaises et l’armée soviétique prit possession de la caserne en avril 1945. Celle-ci était en parfait état et n’avait subi aucun bombardement. En effet un faux camp avait était installé à proximité du lac Fahrlander pour duper les pilotes alliés !

Après la guerre, la caserne fut utilisée à des fins militaires par les soviétiques, et ce jusqu’en 1992. Divers unités occupèrent Krampnitz mais à parti de 1983 elle redevint une « caserne école ». En 1989 on comptait 6000 soldats et 1500 familles.

Véritable petite ville on y trouvait un grand magasin, des commerces de fruit et légumes, un magasin DELIKAT qui, ironie, proposait des produits de l’Ouest. D’ailleurs les habitants des environs pouvaient facilement entrer dans la caserne et s’y rendaient régulièrement pour faire leurs courses.

La caserne comptant beaucoup de civils et notamment des famille, elle comportait donc une école et un jardin d’enfants. Pour se divertir on avait le choix entre les 2 cinémas, un théâtre et le « Casino » qui servait de salle de spectacle. Mais comme l’objectif principal d’une caserne, c’est de s’entraîner il y avait aussi 4 salles de sport, une piscine et un stade !

Autant vous dire qu’une journée ne nous a pas suffit pour tout visiter. Mais nous avons eu un bel aperçu et surtout la chance de trouver les bâtiments les plus impressionnants tels que le casino, des salles de sport, les buanderies, le théâtre…

J’y suis allée avec M. F. une formidable photographe avec qui nous échangeons par mail depuis des mois. Nous nous sommes enfin rencontrées et avons décidé de partir à l’aventure ensemble (bien que M. F. ait l’habitude de faire ses explorations urbaines seule !). J’ai eu de la chance (et vous aussi lecteurs) d’avoir une superbe photographe pour m’accompagner à l’une des explorations les plus impressionnantes que j’ai pu faire.

Grâce à M.F. équipée d’une voiture et qui avait bien préparé notre roadtrip nous n’avons pas trop galéré pour trouver l’entrée de la caserne, cachée dans la végétation, derrière des petites maisons, au bord d’un lac. Nous avons dû passer devant les jardinets proprets en saluant les habitants qui devaient bien deviner nos projets puisque le chemin était une impasse donnant sur l’un des bâtiments de la caserne. L’ascension de la clôture ne fut pas trop difficile bien que nous étions un peu pressées par la proximité avec le voisinage. C’est l’atterrissage qui fut un peu dur, en plein dans les orties !

Nous fîmes une petite pause avant de visiter les premiers bâtiments. C’est toujours incroyable de voir la vitesse à laquelle la nature reprend ses droits. C’est une véritable forêt qui nous entourait. Nous étions à un carrefour d’où plusieurs chemins partaient. Le choix était cornélien… nous nous laissâmes porter par notre intuition (et aussi par une vieille carte trouvée sur Internet que M.F, décidément bien organisée, avait pris le soin de photographier).
C’est ainsi que nous traversâmes ce qui devait être l’ancienne école ou jardin d’enfants. En témoignent les fresques enfantines sur les murs.

On débouche soudain sur une salle de sport au plancher totalement sens dessus dessous. Les paniers de baskets veillent au grain et les projecteurs tombés au sol jouent le rôle de ballons.

Nous ressortons par une vitre cassée et débouchons près de l’entrée principale fermée par une grande grille. La grande tour de surveillance est immanquable. J’aurai aimé pénétrer à l’intérieur et gravir ses marches. Mais nous ne trouvons pas d’entrée. Sa proximité avec la voie routière et un étrange sentiment de malaise nous font rebrousser chemin.

Le bâtiment que nous découvrons ensuite est une véritable merveille. Ce fameux casino est certainement l’un des plus beaux bâtiments que j’ai eu la chance de visiter lors de mes explorations urbaines. Bien que vandalisé, on imagine facilement la splendeur qu’il put être. Il suffit de tourner ses yeux vers le plafond…

Ce bâtiment fut construit vers 1937, à proximité de l’entrée principale, derrière la tour de garde. Il était entouré par les bâtiments qui abritaient l’état majeur et les villas des officiers supérieurs.
Les soviétiques ont détruit (presque) tous les symboles des nazis. Ils ont notamment désencastré tous les aigles qu’ils pouvaient trouver.

Mais ils ont eux aussi apposé leur touche aux murs du bâtiment sur lesquels les fresques communistes s’étalent.
Il paraît que des scènes des films « Stalingrad » et « Inglorious bastard » furent tournés ici. En tout cas Georges Clooney était dans le coin au mois d’avril pour le tournage de son film « The Monuments Men »…

N’ayant rencontré aucune star hollywoodienne nous finissons pas quitter le bâtiment. Nous visitons plusieurs logements aux structures toujours identiques. Dans un grenier nous tombons sur une réunion de chaises, comme si des officiers s’étaient tenus là, penchés sur une carte et un plan d’attaque.

On découvre des morceaux de ferrailles sous forme de E. Je crois que c’est un signe qui m’est fait vu que le E est l’une de mes initiales. M.F. finit par découvrir que c’est en fait une partie du système de gond des portes…

Les couloirs sans fin vous donnent une idée de l’exploration immense qui nous ouvre les bras : des graffitis, des baignoires renversées, des journaux russes collés aux murs…

Nous sommes à la recherche de la cantine et des salles de sport mais il est bien difficile de s’orienter dans cette caserne-ville envahie par la végétation. Nous faisons une nouvelle pause sur une surface dégagée plus ou moins bétonnée. Autour de nous ce qui ressemble à des hangars extrêmement dégradés, voir noircis par des incendies.

Quand la taille des lieux commence à nous décourager nous finissons pas découvrir des bâtiments en longueur qui semblent être au choix, des salles de sport ou des garages. Nous entrons finalement dans une pièce qui s’apparente à une salle des machines. De fait nous sommes dans l’ancienne buanderie ! Celle-ci fut construite vers 1987. Son exploitation entraîna bien des problèmes puisque une erreur de conception conduit à la pollution des eaux alentours pendant plusieurs années. Cette erreur proviendrait d’un problème de coordination entre les équipes, quand la gestion passa des Soviétiques aux allemands de l’Est.

Reboostées par cette découverte intéressante nous nous engouffrons dans le bâtiment suivant qui devait certainement être la chaufferie. On y distingue plusieurs fournaux. Mais nous ressentons immédiatement un malaise saisissant. Devant chaque fourneau se trouvent de la terre retournée, comme des tombes que l’on viendrait de reboucher. La présence de vieux vêtements militaires n’est pas là pour nous rassurer.

Nous décidons donc de quitter notre terrain de jeux. Mais sur le chemin du retour, dans la direction supposée de la sortie, nous aurons encore le chance de faire de belles découvertes ! La salle de théâtre d’abord, avec ses fresques so communiste’

Mais surtout la salle des sports avec ces dessins qui indiquent les différentes disciplines sportives qui pouvaient y être pratiquées. M. F. prend patiemment en photos ces précieux vestiges. Elle est bien courageuse ! Car les moustiques ne cessent de mordre notre peau, se faufilant à l’intérieur des pantalons et des tee-shirts. J’ai regretté d’avoir abandonné ma recherche matinale de lotion répulsive.

Nous finissons même par trouver la cantine. Mais la fatigue se fait de plus en plus pesante et l’intérieur semble vide. Nous passons aussi devant les plattenbau designés par les soviétiques, certains étant plus élaborés que d’autres, mais tous autant abandonnés les uns que les autres.

Enfin nous retrouvons la sortie, passons pas les orties, escaladons le grillage dans la plus grande discrétion, disons au revoir aux voisins et retrouvons la voiture là où nous l’avions laissée.

Un projet d’envergure concerne le site de la caserne de Krampnitz. Il est prévu d’y aménager 1600 logements pour faire face à la demande de plus en plus importante en matière d’habitations dans la commune de Potsdam. En attendant que le chantier commence (s’il commence un jour), la caserne se repose de son passé militaire sous les caresses de la nature galopante.