Elizabeth Siddal, le vampire de Highgate

Publié le 20 avril 2025 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Elizabeth Siddal

Le vampire de Highgate

La Flamme Préraphaélite : Elizabeth Siddal

Dans le Londres brumeux du XIXe siècle, une étoile rousse allait enflammer l’imagination des plus grands artistes de son époque. Elizabeth Siddal naquit le 25 juillet 1829, destinée à devenir bien plus qu’un simple visage immortalisé sur toile.

Sa passion pour la poésie s’éveilla de la façon la plus romantique qui soit : en découvrant par hasard des vers de Tennyson sur un vulgaire bout de papier journal enveloppant une motte de beurre. Cette rencontre fortuite avec la beauté cachée dans le banal deviendrait la parfaite métaphore de sa propre existence.

Le destin frappa à sa porte sous les traits de Walter Howell Deverell. L’artiste, hypnotisé par la beauté flamboyante de cette vendeuse de chapeaux, s’empressa de partager sa trouvaille avec ses compagnons préraphaélites. À cette époque, Lizzie s’épuisait dans une boutique de modiste, ses doigts délicats travaillant sans relâche dans des conditions éreintantes. Contre l’avis d’une société victorienne rigide, où poser comme modèle frôlait le scandale, sa mère l’encouragea à saisir cette chance d’échapper à sa condition.

Le mouvement préraphaélite, né en 1848 de l’imagination rebelle de Millais, Rossetti et Hunt, cherchait à ressusciter l’art d’avant Raphaël, avec ses couleurs vibrantes et sa pureté presque mystique. Lizzie, avec sa longue chevelure cuivrée et son teint d’albâtre, incarnait parfaitement leur idéal de beauté éthérée et se destinait à devenir une stunner, un canon de beauté.

C’est en posant pour Ophelia de Millais que Lizzie connut simultanément la gloire et les prémices de sa déchéance. Immergée pendant des heures dans une baignoire à peine tiédie par quelques lampes à huile, elle flottait, telle l’héroïne shakespearienne, entourée de fleurs. Lorsque les flammes vacillantes s’éteignirent, l’eau se transforma en piège glacial. La pneumonie qui s’ensuivit l’introduisit au laudanum, cette teinture d’opium qui deviendrait à la fois son réconfort et son poison.

Le tableau de Millais représente Ophélie, la secrète amante d’Hamlet dont le père, Polonius, fut exécuté par le héros shakespearien et dont la santé mentale vacilla après ce meurtre. Elle finit folle et noyée. Ce tableau saisissant qui précipita également Siddal vers la tombe est un archétype de la femme à la fois idéale, idéalisée et réifiée. Son corps laissé à l’abandon, les lèvres mi-closes, les mains ouvertes vers le ciel, peut être vu comme l’objet de désir à la fois idéal et soumis, puisque sans vie, sans résistance.

Dante Gabriel Rossetti, jaloux de l’attention que ses confrères portaient à cette créature fascinante, l’invita dans son studio. Sous son pinceau amoureux, Lizzie se métamorphosa en icône de féminité idéale – un mélange enivrant de beauté, d’intelligence et de spiritualité.

Leur liaison professionnelle se mua en passion dévorante mais tumultueuse. Pendant près d’une décennie, ils restèrent fiancés sans jamais concrétiser leur union. Rossetti, prisonnier des conventions sociales et craignant le courroux de sa noble famille, repoussait sans cesse l’échéance. Pendant qu’il succombait aux charmes d’autres femmes, Lizzie sombrait chaque jour davantage dans les bras chimiques du laudanum.

Malgré cette relation orageuse, Lizzie transcenda son statut de muse pour devenir créatrice à part entière. Sous la tutelle de Rossetti, elle développa un talent remarquable pour la peinture et la poésie. Le célèbre critique John Ruskin la qualifia de “génie”, saluant son accomplissement unique en tant que seule femme exposée à l’exposition préraphaélite de 1857.

À Sheffield, où elle s’installa pour poursuivre son art, Lizzie continuait de créer, même alors que son corps fragile commençait à l’abandonner.

En 1860, la santé de Lizzie déclina précipitamment. Apprenant son état alarmant, Rossetti l’épousa enfin, mais la jeune femme était si affaiblie qu’elle dut être portée jusqu’à l’autel. L’année suivante, une fausse couche la plongea dans les abîmes de la dépression. Quelques mois plus tard, enceinte à nouveau, elle commit l’irréparable.

Le 11 février 1862, Rossetti découvrit le corps inanimé de sa muse et épouse, une bouteille vide de laudanum à ses côtés. Pour lui épargner l’humiliation d’un enterrement hors terre consacrée – sort réservé aux suicidés – il fit disparaître toute preuve de son geste désespéré. Plutôt qu’un suicide, il faut plutôt imaginer que ce fut une overdose accidentelle, que les mauvaises langues auraient tôt fait de maquiller en suicide.

Dans un ultime acte d’amour déchirant, il plaça un recueil de ses propres poèmes manuscrits dans le cercueil de Lizzie, enveloppé dans sa belle chevelure rousse. Sept ans plus tard, rongé par le remords et la folie naissante (et certainement aussi par l’appât du gain, car il connût à ce moment-là plusieurs revers de fortune), il fit exhumer le précieux recueil, certainement sous la pression de Charles Augustus Howell, un ami assez peu scrupuleux qui faisait office d’agent artistique. La légende raconte que le corps de la belle rousse était miraculeusement préservé, sa flamboyante chevelure ayant continué de croître jusqu’à remplir le cercueil – comme si, même dans la mort, sa beauté refusait de s’éteindre. C’est du moins ce que fit croire Howell qui était seul présent lors de l’exhumation, Rossetti étant trop rongé par le remors pour y assister.

Elizabeth Siddal, bien plus qu’une simple muse, reste l’incarnation de la flamme préraphaélite – brûlante d’intensité, consumée trop vite, mais dont l’éclat continue d’illuminer l’histoire de l’art plus d’un siècle et demi après sa disparition.

Il est dit que le cimetière de Highgate où elle est enterrée serait hanté par le fantôme d’une grande femme rousse au regard éthéré.

Avant : Café du matin #13